Monaco-Matin

« On a oublié de se fréquenter au bar »

Benoît Coquard, chercheur à l’INRAE et spécialist­e en sociologie rurale

- RÉGINE MEUNIER

Benoît Coquard observe l’évolution des villages ruraux et les jeunes qui y vivent. Ce sociologue à l’Institut national de recherche pour l’agricultur­e, l’alimentati­on, l’environnem­ent, constate que la ruralité a la cote. Mais les débits de boissons disparaiss­ent, souvent dans la foulée des services publics.

Le bistrot de pays est-il une solution pérenne pour réanimer les villages ?

C’est une solution qui correspond à une relance de ce qui existait avant, mais qui ne peut pas fonctionne­r seule. Certaines campagnes ont connu un déclin de leurs lieux de rassemblem­ent en dehors du domicile et on est passé de 30 à 40 débits de boissons dans les années 80, à parfois 2 ou 3 depuis les années 2010. Ce sont des campagnes en déclin démographi­que, impactées par la baisse des emplois dans l’industrie et l’agricultur­e. La vitalité de la commune avec l’installati­on de jeunes ménages, le maintien des services publics, des écoles… c’est tout cela qui fait que les bars vont se maintenir ou pas.

Pourquoi les bars attirent-ils moins de monde ?

À force, on a oublié de se fréquenter au bar. On se rencontre chez les uns ou les autres. Les maisons servent à recevoir les amis. On met de l’argent dans l’aménagemen­t pour les accueillir avec de grands canapés, des baies vitrées, des salons extérieurs, qui n’existaient pas dans la vie rurale. On dort même chez les amis. Dans les années 70, le foyer conjugal était un espace fermé sur l’extérieur. On allait au bistrot pour voir du monde. Là on invite chez soi.

L’offre de service public demeure essentiell­e ?

Il y a pas mal de démarches où il faut un interlocut­eur. Et quand le service public disparaît, les gens s’en plaignent. Les petites épiceries qui font aussi commerce, relais Poste, un peu tous les services à la fois, sont accueillie­s avec enthousias­me. Internet, même pour les jeunes, ne suffit pas à répondre à tout. Les ménages qui, typiquemen­t, achètent en milieu rural, ce sont les jeunes retraités qui ne sont pas encore trop dépendants des services médicaux, qui ne voient pas souvent le médecin, qui n’ont plus d’enfants. Ce ne sont pas des ménages qui font revenir les services publics. Ce qui va inciter les jeunes – les néoruraux, typiques dans le sud de la France – à réinvestir la ruralité, c’est l’emploi et les services publics quand ils créent une famille, comme la proximité avec le pédiatre.

N’y a-t-il pas une volonté de s’isoler quand on rejoint un village rural ?

Les gens ne recherchen­t pas forcément l’éloignemen­t ou la qualité de vie. Vivre en milieu rural, c’est être très lié à l’interconna­issance, au fait de plus se fréquenter qu’à la ville. Mais pas dans les bars. Les jeunes ruraux sont plus souvent membres d’associatio­ns, ils fréquenten­t plus leurs amis, et parlent même du poids de l’interconna­issance, du fait d’avoir moins d’intimité à la campagne. Les recherches montrent que c’est plutôt l’inverse d’une évasion. Ce n’est pas un isolement. L’anonymat et l’isolement social sont plutôt caractéris­tiques de la grande ville. La campagne, qui est construite dans les récits bourgeois de résidences secondaire­s, est décrite comme l’endroit où on va se mettre à l’écart de tout, alors que pour

Le rôle social du Bistrot de pays ?

L’initiative est intéressan­te. J’en ai vu un s’installer dans une région où les trentenair­es n’étaient jamais allés au bistrot de leur vie. Ce qui les perturbait c’est qu’ils ne savaient pas qui allait être au bistrot avant d’y aller. C’est-à-dire que toutes les rencontres, les sociabilit­és à la maison, leur permettent de faire le tri entre ceux que l’on ne veut pas voir et ceux que l’on veut voir. Or, au bar, on fréquente celui qui va être là. Cela suppose d’être plus ouvert, de ne pas complèteme­nt tout maîtriser, ne pas créer un entre-soi. Il y a aussi beaucoup de gens et de jeunes qui se plaignent de ne pas avoir de groupes d’amis et se sentent seuls à la campagne. Le bistrot permet à ceux qui ont moins d’attaches de faire groupe.

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ceux qui vivent à la campagne, c’est être très impliqué.

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