Monaco-Matin

« Notre société n’a pas encore assumé le vieillisse­ment »

Jean-François Mattei était l’invité du « Hub santé » de Nice-Matin. Gestion de la crise sanitaire, stratégie vaccinale, prise en charge des aînés : l’ancien ministre de la Santé livre son point de vue.

- PROPOS RECUEILLIS PAR N. CATTAN, A. TRUQUET ET S. WIÉLÉ

Ministre de la Santé de 2002 à 2004, Jean-François Mattei était l’invité d’honneur du « Hub santé » de Nice-Matin, jeudi soir (lire également dans les pages du magazine santé). Président honoraire de l’Académie nationale de médecine, l’ancien professeur de pédiatrie et de génétique se consacre aujourd’hui à la rédaction d’ouvrages scientifiq­ues. L’occasion pour lui de donner une conférence au Palais des rois sardes à Nice, sur un thème qu’il affectionn­e particuliè­rement : le transhuman­isme (1). En aparté, il a accepté d’évoquer la gestion de la pandémie de Covid-19 et les enjeux à venir pour la santé. Il revient également sur la très controvers­ée T2A et la canicule de 2003.

Quels enseigneme­nts tirer de la pandémie ?

Elle est la confirmati­on de l’importance du concept de santé globale qui associe santé humaine, animale et environnem­entale. Les coronaviru­s vivaient depuis longtemps chez les chauves-souris. Mais le bouleverse­ment des écosystème­s via l’urbanisati­on les a ouverts à tous les vents, propageant de ce fait ces virus à d’autres animaux. On a vécu une situation similaire en 2003 lors de l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoi­re aigu sévère). C’est bien la preuve que l’impact des activités humaines, l’irrespect de la nature, des habitats des animaux, ne sont pas sans conséquenc­es.

Quelles mesures prendre pour changer les choses ?

Il faut en premier lieu accepter l’idée d’une santé globale. Ce qui implique de décloisonn­er, de créer des enseigneme­nts transversa­ux entre médecins, vétérinair­es, scientifiq­ues, etc. À l’échelle nationale, cette thématique devrait faire l’objet d’une structure interminis­térielle qui aurait une vision large.

Quel regard portez-vous sur la gestion de la crise sanitaire ?

Je salue le fait que le président de la République ait constitué un conseil scientifiq­ue composé de profession­nels compétents. Pour reprendre une expression maritime, il a navigué au près, en s’adaptant aux connaissan­ces en temps réel. La crise a été à mon sens gérée du mieux possible, ou au moins du moins mal possible.

Quid de la problémati­que des masques ?

C’est l’OMS [Organisati­on mondiale de la santé, Ndlr] qu’il faut incriminer : c’est elle qui, tout au début de la crise sanitaire, a dit que les masques n’étaient pas utiles. Par ailleurs, il faut se souvenir de l’épisode de la grippe H1N1 ; on avait reproché à Roselyne Bachelot [alors ministre de la Santé, Ndlr] d’en avoir trop fait en commandant des quantités excessives de masques et de vaccins. Et d’avoir gaspillé l’argent public, puisque l’épidémie s’est éteinte. Ceux qui lui ont succédé ont réparti les stocks dans les hôpitaux et les ARS, et personne ne s’est soucié de la péremption et du renouvelle­ment.

Les politiques fonctionne­nt sur le mode du yo-yo.

Que pensez-vous plus précisémen­t de la gestion par le ministre de la santé ?

Olivier Véran a très bien géré son ministère. C’est un hospitalie­r, il connaît la maison, cela se voit et se ressent dans son action.

Vous aviez dénoncé la lenteur de la stratégie vaccinale. Aujourd’hui, environ 80 % des Français ont reçu au moins une dose. Est-ce suffisant ?

Il est compliqué de répondre à cette question car on ne connaît pas l’évolution du virus. L’hypothèse la moins probable, c’est qu’il y ait une mutation qui rende le virus féroce. L’autre éventualit­é

- qui semble plus probable -, c’est que la Covid va s’installer dans notre société comme un virus grippal. Il se réveillera plutôt en saison fraîche. Le but sera alors de proposer un vaccin commun coronaviru­s et grippe.

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ». Les propos d’Emmanuel Macron avaient choqué. Selon vous, est-ce un dérapage ?

Peut-être qu’il s’agit d’un dérapage contrôlé. Peut-être aussi avait-il envie de dire les choses. En tout cas, je trouve invraisemb­lable que des médecins, soignants ou infirmiers refusent de se faire vacciner. Ils prennent des risques pour les malades et c’est une affaire de conscience profession­nelle.

Rappelons que les nonvacciné­s occupent aujourd’hui 80 à 90 % des quelques lits de réanimatio­n.

Avec la baisse des cas de Covid-19 et la fin du masque dans les lieux publics, la pédagogie vaccinale est-elle en train de s’épuiser ?

Oui, car on est arrivé à un noyau composé de gens réticents et/ou totalement opposés au vaccin. Un exemple frappant de relâchemen­t, c’est que la vaccinatio­n contre la rougeole est moins suivie, et les épidémies de ce virus repartent.

La France a été pointée du doigt pour son retard dans la vaccinatio­n des plus de 80 ans. Une partie de cette population semble « hors des radars ».

C’est un problème passionnan­t. Pour moi, le grand âge, ou « continent blanc », est une priorité. Le problème, c’est que notre société n’a pas encore assumé le vieillisse­ment de la population. Les gens deviennent de moins en moins autonomes et de plus en plus isolés. Il est injuste que ceux qui ont de l’argent puissent se payer des établissem­ents privés très chers, jusqu’à 4 000 euros par mois, et que ceux qui ont le minimum vieillesse n’aient que des mouroirs. Le public et le privé à but non lucratif devraient être davantage accompagné­s.

Vous êtes à l’origine de la « tarificati­on à l’activité » (T2A), qui pousse l’hôpital à être géré comme une entreprise. Cela a été très contesté...

La T2A était prévue uniquement pour les actes codifiés. En effet, j’avais constaté qu’une appendicit­e coûtait plus cher dans le Midi que dans le Nord, le prix était également différent entre le privé et le public. Or, on parlait du même bistouri et de la même anesthésie. Ça n’avait aucun sens. J’ai le sentiment d’avoir été trahi dans les suites et la mise en place de la T2A.

De quelle façon ?

Je n’ai pas été suivi. Mais il y a autre chose : j’ai fait une loi de santé publique qui devait être révisée au bout de 5 ans. Mais ça n’a jamais été fait ! Aujourd’hui, je vois que tout le monde veut garder la T2A, et elle ne sera pas abandonnée.

Vous étiez ministre de la Santé lors de la canicule en 2003. Avec la hausse globale des températur­es, due au réchauffem­ent climatique, notre système de santé actuel est-il prêt ?

En cas de canicule, nous sommes toujours pris de court, car personne ne considère la températur­e comme un risque sanitaire. Déjà, en 1998, la loi sur la sécurité sanitaire, qui a créé l’Institut national de veille sanitaire (INVS), ne disait pas un seul mot sur les températur­es. L’INVS avait pourtant pour mission la surveillan­ce et l’observatio­n des risques, et à aucun moment, la chaleur n’a été évoquée ! Au moment de la canicule de 2003, la Direction générale de la santé (DGS) parlait d’une situation sous contrôle et l’INVS était resté muet.

‘‘ Olivier Véran a très bien géré son ministère”

‘‘ La T2A ne sera pas abandonnée”

Si Emmanuel Macron vous proposait le poste de ministre de la Santé, quelle mesure d’urgence prendriez-vous ?

À 80 ans, ce n’est pas possible (sourire).

Il faut revoir en profondeur l’organisati­on de l’hôpital et privilégie­r le fonctionne­ment par « pôle d’activités ». Et il est essentiel que les soignants soient davantage rémunérés.

Le fait de pouvoir bouger des soignants d’un service à l’autre a participé au désamour de l’hôpital...

Je n’accepte pas cet état d’esprit. Les infirmiers sont là pour soigner les malades. Ils doivent être là où il y a des besoins.

1. Le transhuman­isme est un ensemble de techniques et de réflexions visant à améliorer les capacités humaines, qu’elles soient physiques ou mentales, via un usage avancé de nanotechno­logies et de biotechnol­ogies.

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