Elle avait perdu tout espoir, ELLE RENAÎT À NICE
Amputée. Mais vivante. Grâce l’Aide médicale d’État et la collaboration du public et du privé, Saadia, une jeune Algérienne atteinte d’un cancer grave, a pu être sauvée.
Saadia a 26 ans, elle veut vivre. Et elle va vivre. Grâce à ce dispositif créé en 2000, l’Aide médicale d’État (AME). Grâce aussi à la collaboration d’un hôpital public et d’une clinique privée, ces frères dits ennemis. Un épilogue heureux pour cette jeune fille originaire de Constantine (Algérie) qui apprend à l’âge de 19 ans qu’elle souffre d’une maladie grave. Un chondrosarcome. Une tumeur cancéreuse qui s’est développée au niveau de la hanche. Amis, familles, mais aussi des inconnus vont alors se mobiliser pour aider ses parents - de condition modeste - à financer les opérations. Trois au total, entre 2015 et 2017. Mais la maladie récidive.
Et le dernier chirurgien qui l’opère fait aveu d’impuissance. «Ilm’adit:on ne peut plus rien faire pour toi, il faut que tu ailles en France », rapporte la jeune femme dans un français encore hésitant. Elle se tourne alors vers sa tante qui vit à Cannes-laBocca. Celle-ci prend aussitôt contact avec des oncologues du Centre Antoine Lacassagne (CAL), qui vont examiner son dossier médical.
Le cas est complexe, mais ils savent que toutes les compétences sont réunies sur le territoire pour prendre en charge la jeune fille. Et essayer de la sauver. Mais il faut aller vite. Les opérations qu’elle a subies ont stimulé la croissance des cellules tumorales. La famille de Saadia a repris espoir. Il lui faudra néanmoins patienter deux ans avant d’obtenir le précieux sésame : un visa pour la France. Comment la jeune fille a-t-elle vécu cette période ? Les mots sont timides : « J’étais dans l’inconnu. Je pensais que je pouvais mourir. »
Plus de 30 cm
Pendant que la maladie progresse, les douleurs - neurologiques - sont de plus en plus violentes. Insupportables même. À Nice, deux professeurs de médecine, Christophe Trojani et Patrick Baqué, ont été saisis du cas de Saadia. Le premier est chirurgien orthopédiste et exerce à cette époque au CHU de Nice. Mais lorsque la jeune femme arrive enfin en France en juin 2021, il a quitté l’hôpital public pour rejoindre le groupe Kantys. Qu’importe, en lien avec ses anciens collègues hospitaliers et les oncologues du CAL, il décide de coordonner, avec le Pr Baqué, chirurgien digestif, la prise en charge. « On savait qu’on pouvait l’opérer et que c’était la seule chance de la sauver ; ce type de tumeur résiste autant à la chimiothérapie qu’à la radiothérapie. » Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est combien la maladie a progressé depuis 2019 et les dernières images dont ils disposent. «La tumeur mesurait plus de 30 centimètres et avait envahi le bassin, la cuisse, le périnée. Pour opérer, il fallait mobiliser une équipe pluridisciplinaire aguerrie : chirurgien vasculaire,
(1) viscéral, orthopédiste, anesthésistes… »
« Il y a un risque que l’on vous ampute »
Les Prs Trojani et Baqué vont se préparer à l’intervention au laboratoire d’anatomie, sur des sujets issus du don du corps à la médecine. Avant le jour J, le Pr Trojani, s’entretient avec Saadia : «Ilyaun risque important que l’on soit obligé de vous amputer, même si on va tout mettre en oeuvre pour l’éviter. Nous y autorisez-vous, le cas échéant ? » La jeune femme acquiesce. «Je n’avais pas le choix. C’était obligatoire.
Mais c’était une grande opération. Je ne savais pas si j’allais mourir. » Le Pr Trojani se souvient avec émotion de ce moment terrible. « Elle m’a dit oui en sanglotant dans mes bras ». Les bras de son chirurgien, lui-même père d’enfants du même âge. Mais des bras étrangers, alors que ses parents ne sont pas présents. « Elle avait patienté deux ans pour son visa, il n’était pas possible d’attendre que ses parents l’obtiennent avant d’opérer. » L’intervention durera plus de 6 heures. La tension est extrême. Tous les praticiens autour de la table savent qu’il existe un risque vital. Saadia peut mourir pendant l’intervention d’une hémorragie liée à la rupture d’un vaisseau. Ou d’une défaillance cardiaque, au moment où l’amputation, massive, est réalisée. « Il a fallu procéder à une hémipelvectomie radicale : toute la jambe et des parties du bassin jusqu’au sacrum ont dû être amputées, soit près d’un quart du corps, tant la maladie était étendue. Il n’y avait pas d’alternative si nous voulions la sauver. »
« Merci la France »
Lui sauver la vie, mais aussi lui offrir des perspectives d’une vie la plus normale possible. Les chirurgiens parviendront ainsi à préserver ses fonctions vésicale et intestinale (donc sa continence), ainsi que sa fertilité. «Rienne s’oppose à ce que Saadia ait un jour des enfants », sourit le Pr Trojani. La coquette jeune femme rougit. Là n’est pas aujourd’hui sa priorité. Il lui faut à présent apprendre à cohabiter avec son nouveau corps. S’approprier cette prothèse qui vient de lui être posée. Retrouver des capacités physiques après 8 mois d’hospitalisation. Maîtriser aussi cette sensation de membre fantôme. « Des fois, je sens ma jambe, comme des décharges électriques. »
Titulaire d’un master en psychologie, la jolie et élégante jeune femme - « Je n’ai jamais cessé de prendre soin de mon visage, de me maquiller, même quand j’étais en dépression » rêve d’intervenir en milieu scolaire : « J’aime les enfants ».
Mais ceux auxquels elle veut aujourd’hui dire sa tendresse et sa gratitude, ce sont avant tout ces médecins, ces soignants, à Pasteur, à l’Archet qui n’ont cessé de la soutenir, lorsque, dans son lit d’hôpital, amputée et loin des siens, son moral vacillait. « Le jour de mon anniversaire, le 16 août, les infirmières m’ont apporté plein de cadeaux. Et le Dr Camuzard est arrivé avec une immense boîte pleine de gâteaux. Je veux dire un grand merci à eux. Merci aussi à la France. »
Et le Pr Trojani de conclure par ces mots : « C’est l’honneur de notre pays de permettre que ce type d’histoire puisse s’écrire. Les autres pays devraient s’en inspirer et proposer ce même dispositif d’AME adapté à ces situations exceptionnelles. Le parcours de Saadia rend fier d’être Français. » 1. Ont également participé à l’intervention : le Dr Régis Bernard de Dompsure, chirurgien orthopédiste, CHU de Nice ; le Dr Haudebourg, chirurgien vasculaire, CHU de Nice ; le Dr Camuzard, chirurgien plasticien, CHU de Nice ; le Dr Raynier, chirurgien orthopédiste, ICR, Groupe Kantys.