Pour une autre REPRÉSENTATION DE L’OBÉSITÉ
Perdre du poids n’est pas une question de volonté et les patientes souffrant d’obésité et d’infertilité ne sont pas responsables de leur situation. Le Dr Laura Gabriele-Lovichi, endocrinologue, plaide pour une prise en charge plus bienveillante.
L’obésité a des effets négatifs significatifs sur la fertilité, tant chez la femme que chez l’homme. Perdre du poids pour augmenter ses chances de tomber enceinte : c’est donc souvent le premier conseil donné aux femmes en situation d’obésité quand elles consultent parce qu’elles peinent à tomber enceinte. Un conseil qui s’appuie sur une réalité scientifique, certes, mais qui balaie toutes les composantes du parcours de ces patientes et l’histoire derrière leur maladie, selon le Dr Laura Gabriele-Lovichi, qui les reçoit régulièrement dans le cadre des ateliers de la Maison des maladies chroniques, à Toulon. «De nombreux soignants s’arrêtent à leur représentation de l’obésité et imaginent que ces femmes peuvent maigrir, que c’est une question de volonté. C’est faux. Leur dire “revenez quand vous aurez perdu 20 kg”, c’est comme dire à une femme de 40 ans qui veut entamer un parcours de PMA : “revenez quand vous serez plus jeune”. »
En finir avec les régimes
Parmi les composantes à prendre en compte pour accompagner au mieux ces patientes, il y a d’abord leur historique pondéral. «Il ne faut pas focaliser sur leur poids et leur IMC à l’instant T. Elles peuvent très bien avoir déjà perdu du poids. On leur fait alors entendre que ce n’est jamais assez. C’est très frustrant et c’est aussi problématique car il y a peu de mesures pour perdre du poids sur le long terme. » « On sait que 95 % des personnes qui font un régime reprennent du poids, et dans 40 % des cas, il y a un effet « yoyo » ascendant. La HAS préconise de ne plus faire de régime ! Le discours, désormais, c’est de miser sur une alimentation équilibrée et ça ne semble pas mieux fonctionner, constate l’endocrinologue. Le problème, affirme-t-elle, c’est le contrôle mental sur l’alimentation qu’on demande d’exercer. Un effort cérébral important pour une activité pluri-quotidienne qui ne devrait pas en demander autant. Résultat : au bout d’un moment, elle lâche le contrôle et alterne périodes de contrôle et de perte de contrôle ; l’effet des phases de perte de contrôle étant toujours plus délétère sur le poids et le comportement que l’efficacité des phases de contrôle ! »
Réapprendre la faim et la satiété
Le Dr Gabriele-Lovichi plaide plutôt pour une alimentation intuitive, un message porté par le Gros, le Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (1). « L’idée est de lâcher ce contrôle mental et de revenir à un comportement plus intuitif tenant compte des ressentis, tels que les signaux de faim et de satiété. Contrairement à ce que pensent certains, hormis de rares exceptions, tout le monde, même les patients en situation d’obésité, peut entendre ces signaux. »
« Le problème, concède-t-elle, c’est que le cerveau de ces patients, à force de suivre des recommandations externes déconnectées de leurs sensations, occulte ces signaux. » Elle explique : « au début d’un régime, les personnes ont faim, mais petit à petit, pour augmenter le confort, le cerveau coupe le signal. La faim disparaît. Même chose pour la satiété. Quand on apprend à finir son assiette, on apprend à ne plus écouter le signal qui dit stop. » La solution, préconise-t-elle, c’est donc de réapprendre à écouter ces signaux.
Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi accepter la fonction de régulation émotionnelle de l’alimentation, qui a toujours existé. « Manger pour se réconforter, c’est tout à fait sain. Manger pour le plaisir n’est pas un luxe ! À force de stigmatiser, on culpabilise, et on prive de réconfort. Or, moins on aura de réconfort, plus on en voudra : cela peut aller jusqu’au trouble du réconfort. Il faut donc se faire plaisir, en apprenant à déguster sereinement, en pleine conscience nos aliments réconforts ! »
Accepter ce poids
Enfin, une fois le poids d’équilibre atteint, il faut apprendre à l’accepter. « Beaucoup de gens considèrent que le poids est quelque chose de contrôlable. Ce n’est qu’une illusion. C’est aussi vain que de vouloir contrôler mentalement sa tension artérielle ! Les objectifs pondéraux doivent donc être questionnés. »
Dernier point à prendre en considération face à un patient en situation d’obésité : la part des psycho-traumatismes. « On retrouve fréquemment un moment très difficile qui a déclenché la prise de poids (deuil, harcèlement, agressions sexuelles, divorce des parents…) Mais cet aspect n’est généralement pas pris en compte par les soignants, qui sont par ailleurs souvent démunis face à ces détresses. Il est bien sûr capital également de dépister les troubles du comportement alimentaires, car ils nécessiteront une prise en charge spécifique. »
Le plus souvent, regrette-t-elle, « ce qui freine une bonne prise en charge, ce sont les représentations de l’obésité et la grossophobie. L’obésité a mauvaise presse, il y a toujours une représentation négative, un soupçon d’incompétence sur les personnes qui en souffrent. Pourtant, le poids d’équilibre de chacun est génétiquement programmé et il peut être au-dessus des normes ! C’est assez difficile pour les professionnels de santé de passer outre ces normes pour aller vers une démarche plus bienveillante. Mais c’est pourtant la clé, pense-t-elle, pour accompagner ces patients. » 1. Les soignants (endocrinologue, diététiciens, psychologues, médecins généralistes, etc.), formés à l’alimentation intuitive, sont encore peu nombreux et sont répertoriés sur le site du Gros. https://www.gros.org/