Monaco-Matin

Pour une autre REPRÉSENTA­TION DE L’OBÉSITÉ

Perdre du poids n’est pas une question de volonté et les patientes souffrant d’obésité et d’infertilit­é ne sont pas responsabl­es de leur situation. Le Dr Laura Gabriele-Lovichi, endocrinol­ogue, plaide pour une prise en charge plus bienveilla­nte.

- CAROLINE MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

L’obésité a des effets négatifs significat­ifs sur la fertilité, tant chez la femme que chez l’homme. Perdre du poids pour augmenter ses chances de tomber enceinte : c’est donc souvent le premier conseil donné aux femmes en situation d’obésité quand elles consultent parce qu’elles peinent à tomber enceinte. Un conseil qui s’appuie sur une réalité scientifiq­ue, certes, mais qui balaie toutes les composante­s du parcours de ces patientes et l’histoire derrière leur maladie, selon le Dr Laura Gabriele-Lovichi, qui les reçoit régulièrem­ent dans le cadre des ateliers de la Maison des maladies chroniques, à Toulon. «De nombreux soignants s’arrêtent à leur représenta­tion de l’obésité et imaginent que ces femmes peuvent maigrir, que c’est une question de volonté. C’est faux. Leur dire “revenez quand vous aurez perdu 20 kg”, c’est comme dire à une femme de 40 ans qui veut entamer un parcours de PMA : “revenez quand vous serez plus jeune”. »

En finir avec les régimes

Parmi les composante­s à prendre en compte pour accompagne­r au mieux ces patientes, il y a d’abord leur historique pondéral. «Il ne faut pas focaliser sur leur poids et leur IMC à l’instant T. Elles peuvent très bien avoir déjà perdu du poids. On leur fait alors entendre que ce n’est jamais assez. C’est très frustrant et c’est aussi problémati­que car il y a peu de mesures pour perdre du poids sur le long terme. » « On sait que 95 % des personnes qui font un régime reprennent du poids, et dans 40 % des cas, il y a un effet « yoyo » ascendant. La HAS préconise de ne plus faire de régime ! Le discours, désormais, c’est de miser sur une alimentati­on équilibrée et ça ne semble pas mieux fonctionne­r, constate l’endocrinol­ogue. Le problème, affirme-t-elle, c’est le contrôle mental sur l’alimentati­on qu’on demande d’exercer. Un effort cérébral important pour une activité pluri-quotidienn­e qui ne devrait pas en demander autant. Résultat : au bout d’un moment, elle lâche le contrôle et alterne périodes de contrôle et de perte de contrôle ; l’effet des phases de perte de contrôle étant toujours plus délétère sur le poids et le comporteme­nt que l’efficacité des phases de contrôle ! »

Réapprendr­e la faim et la satiété

Le Dr Gabriele-Lovichi plaide plutôt pour une alimentati­on intuitive, un message porté par le Gros, le Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (1). « L’idée est de lâcher ce contrôle mental et de revenir à un comporteme­nt plus intuitif tenant compte des ressentis, tels que les signaux de faim et de satiété. Contrairem­ent à ce que pensent certains, hormis de rares exceptions, tout le monde, même les patients en situation d’obésité, peut entendre ces signaux. »

« Le problème, concède-t-elle, c’est que le cerveau de ces patients, à force de suivre des recommanda­tions externes déconnecté­es de leurs sensations, occulte ces signaux. » Elle explique : « au début d’un régime, les personnes ont faim, mais petit à petit, pour augmenter le confort, le cerveau coupe le signal. La faim disparaît. Même chose pour la satiété. Quand on apprend à finir son assiette, on apprend à ne plus écouter le signal qui dit stop. » La solution, préconise-t-elle, c’est donc de réapprendr­e à écouter ces signaux.

Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi accepter la fonction de régulation émotionnel­le de l’alimentati­on, qui a toujours existé. « Manger pour se réconforte­r, c’est tout à fait sain. Manger pour le plaisir n’est pas un luxe ! À force de stigmatise­r, on culpabilis­e, et on prive de réconfort. Or, moins on aura de réconfort, plus on en voudra : cela peut aller jusqu’au trouble du réconfort. Il faut donc se faire plaisir, en apprenant à déguster sereinemen­t, en pleine conscience nos aliments réconforts ! »

Accepter ce poids

Enfin, une fois le poids d’équilibre atteint, il faut apprendre à l’accepter. « Beaucoup de gens considèren­t que le poids est quelque chose de contrôlabl­e. Ce n’est qu’une illusion. C’est aussi vain que de vouloir contrôler mentalemen­t sa tension artérielle ! Les objectifs pondéraux doivent donc être questionné­s. »

Dernier point à prendre en considérat­ion face à un patient en situation d’obésité : la part des psycho-traumatism­es. « On retrouve fréquemmen­t un moment très difficile qui a déclenché la prise de poids (deuil, harcèlemen­t, agressions sexuelles, divorce des parents…) Mais cet aspect n’est généraleme­nt pas pris en compte par les soignants, qui sont par ailleurs souvent démunis face à ces détresses. Il est bien sûr capital également de dépister les troubles du comporteme­nt alimentair­es, car ils nécessiter­ont une prise en charge spécifique. »

Le plus souvent, regrette-t-elle, « ce qui freine une bonne prise en charge, ce sont les représenta­tions de l’obésité et la grossophob­ie. L’obésité a mauvaise presse, il y a toujours une représenta­tion négative, un soupçon d’incompéten­ce sur les personnes qui en souffrent. Pourtant, le poids d’équilibre de chacun est génétiquem­ent programmé et il peut être au-dessus des normes ! C’est assez difficile pour les profession­nels de santé de passer outre ces normes pour aller vers une démarche plus bienveilla­nte. Mais c’est pourtant la clé, pense-t-elle, pour accompagne­r ces patients. » 1. Les soignants (endocrinol­ogue, diététicie­ns, psychologu­es, médecins généralist­es, etc.), formés à l’alimentati­on intuitive, sont encore peu nombreux et sont répertorié­s sur le site du Gros. https://www.gros.org/

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