Monaco-Matin

Oussekine L’OBSESSION DE LA VÉRITÉ

- Oussekine, MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr disponible sur Disney+.

Il y a des tragédies qu’il ne faut jamais oublier. Et il y a des séries, qui traitent de cette même tragédie, qu’il faut absolument regarder, partager, commenter, raconter, pour poursuivre cette obsession de la vérité. La série Oussekine ,en quatre épisodes d’une heure, qui arrive sur Disney+ ce mercredi, est de cette caste.

Malik Oussekine, jeune étudiant en insuffisan­ce rénale, sort d’un concert de jazz quand, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en pleine répression policière des manifestat­ions étudiantes contre le projet de réforme de l’université, des policiers à moto – les voltigeurs – le tabassent à mort dans le hall d’un immeuble. C’est l’histoire d’une énième bavure policière. L’état qui assassine un jeune homme qui a le tort d’être au mauvais endroit au mauvais moment et d’avoir la mauvaise couleur de peau. Oussekine est une réussite magistrale car c’est une oeuvre collégiale majeure. Derrière la caméra, Antoine Chevrollie­r (Baron Noir, Le Bureau des légendes )a voulu raconter cette histoire de France.

« Que s’est-il passé dans ce hall ?

Qui était Malik ? Qui était sa famille ? Qu’est-ce qu’elle a subi dans le passé ? C’est un fait de société donc cela implique les politiques, les médias, la violence étatique, l’injustice, poursuit le réalisateu­r .On a envie de raconter cette histoire par le plus large prisme possible avant de resserrer sur cette famille qui vient de perdre un fils, un frère. C’est important de montrer la peine, la douleur. Il faut réhumanise­r les victimes. On voulait montrer cette machine politique et médiatique qui se met en place dans beaucoup de violences policières qui existent encore aujourd’hui : diffamer la victime, lui trouver des malformati­ons pour légitimer le meurtre. »

Humaniser Malik Oussekine

Pour incarner Malik, Sayyid El Alami que l’on avait déjà remarqué dans Une si longue nuit. « J’ai beaucoup observé, écouté, mais je n’essaie pas vraiment de reproduire Malik, je voulais surtout capturer l’essence de cet être. En rencontran­t ses frères, je voyais ce que Malik était aussi. On a eu accès à ses affaires personnell­es, j’ai pu apprendre qu’il était passionné par la bourse, le christiani­sme, l’immobilier, le commerce, le droit », poursuit l’acteur. Tewfik Jallab, qui joue Mohamed, le grand frère, que l’on a déjà vu dans Engrenages, confirme l’importance d’un tel projet : « C’est une immense fierté de faire un tel projet car on a l’impression d’avoir rendu la parole à cette famille. On ne peut pas s’emparer d’un tel projet sans incorporer les gens qui ont traversé ce drame de l’intérieur. Il fallait faire ce travail, avec respect, avec eux. »

Rencontrer la famille

Raconter le drame de Malik ne pouvait se faire sans sa famille, ses deux frères et sa soeur notamment.

Chevrollie­r encore : « Quand le processus d’écriture se lance, je lance la recherche pour retrouver les membres de la famille Oussekine qui sont, au départ, difficilem­ent accessible­s. Dans un premier temps, on discute sans vraiment parler de Malik. Une fois que la confiance est nouée, ils nous ont donné accès à des anecdotes familiales, à la trajectoir­e de la famille, à qui ils étaient à l’époque. On n’a pas fait une vision hagiograph­ique de la famille, on a été droit, juste. On voulait qu’ils adhèrent à notre point de vue et ça a été le cas ». Au-delà du meurtre de Malik, Oussekine raconte quelque chose de la France de 1986. « On voulait comprendre le contexte sociocultu­rel de l’époque, réexplorer la vie politique des année 1980, aller rechercher dans l’histoire les origines de cette violence avec l’épisode de la nuit d’octobre 1961, pour comprendre comment on en arrive à l’histoire de Malik », étaye l’une des scénariste­s Faiza Guene.

La série parle surtout du deuil, de la perte d’un fils, d’un frère et de la solitude dans ce combat. Surtout dans les années 1980. « On a beaucoup été dans le piège du communauta­risme, on s’est souvent dit que c’était une histoire d’Arabes qui ne concerne qu’une famille d’Arabes alors que ce n’est pas le cas, c’est une histoire universell­e d’êtres humains qu’il faut raconter », embraye Faiza Guene.

Car la fiction a ce rôle, aussi, de délivrer des messages. C’est en tout cas le point de vue d’un autre scénariste, Julien Lilti, auquel on doit Germinal et Hippocrate : « Je crois déceler dans ma démarche le souhait de régler des injustices, de réparer. On est tout petit face au drame et au deuil de la famille Oussekine. On s’est chargé d’une mission pour eux, via la fiction, de prolonger, voire de faire aboutir 36 ans d’effort de mémoire. Quand on a la chance de pouvoir faire ça, notre métier a du sens. »

Un autre scénariste, Cédric Ido, abonde en ce sens : « On a toujours envie, dans un projet, de régler des choses mais c’est délicat de ne pas tomber dans le règlement de compte. L’émotion nous permet de ne pas sortir de notre mission et de la rendre la plus universell­e possible. C’est le combat d’une mère qui perd son fils et ça touche à quelque chose d’intime chez chacun d’entre nous. » Assurément, Oussekine est une oeuvre qui fera date.

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(Photos Disney) Sayyid El Alami est excellent en Malik Oussekine.
 ?? ?? Les frères aînés Oussekine, Mohamed (Tewfik Jallab) et Ben Amar (Malek Lamraoui).
Les frères aînés Oussekine, Mohamed (Tewfik Jallab) et Ben Amar (Malek Lamraoui).

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