Monaco-Matin

Volodymyr Zelensky, un clown devenu chef de guerre

Dans son dernier ouvrage, le grand reporter Gallagher Fenwick explique comment le président controvers­é d’Ukraine est devenu un héros national à la faveur du conflit.

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Il ne s’est pas rendu personnell­ement sur les zones de combat en Ukraine, et a passé des vacances à Cannes, cette Côte d’Azur qu’il affectionn­e. N’empêche. Ancien directeur de la rédaction anglophone de France 24 et grand reporter, Gallagher Fenwick a puisé « aux sources premières », à savoir auprès des proches de Volodymyr Zelensky et des spécialist­es de l’Ukraine, pour écrire une biographie incisive de l’homme fort de Kiev, ancien clown passé du rire au drame qui résiste toujours à l’ours Poutine, la communicat­ion en bandoulièr­e. Correspond­ance, échanges téléphoniq­ues, deux mois d’investigat­ion pour cerner un personnage riche et complexe, même s’il n’a pas pu le rencontrer : « Je suis parvenu à entrer en contact avec la directrice de son bureau d’informatio­ns, mais Zelensky répète à l’envi : les biographie­s, c’est pour après la victoire. »

Celle-ci est encore bien chimérique, mais l’ouvrage de Fenwick Gallaher, Volodymyr Zelensky, l’Ukraine dans le sang, parait bel et bien ce mercredi aux éditions du Rocher. L’auteur évoque un homme à la foi collective, mais au destin si singulier.

Vous dites que Zelensky, c’est Chaplin devenu Churchill ?

J’aime cette expression, et pas uniquement pour le plaisir de l’allitérati­on, mais aussi parce qu’elle permet de saisir le contraste très fort entre ce qu’il a été – un comédien souvent comique pour railler la société, comme Chaplin dans les Temps modernes – et ce qu’il est devenu avec l’invasion russe, à laquelle il répond avec ses armes : l’art oratoire et la communicat­ion, tel Winston Churchill en son temps. Ces deux personnage­s plaisent à Zelensky car ils ont tous deux combattu le fascisme, c’est un héritage qu’il revendique dès avant l’invasion russe. Et ça ne lui pose aucun problème d’avoir été d’abord un clown.

C’est néanmoins un sacré contraste, entre sa gravité en temps de guerre et l’humour de ses anciens spectacles...

Zelensky avait un talent indéniable pour dénoncer les travers de sa société par l’humour, il était drôle, vif, charismati­que, et c’était déjà sa manière de faire de la politique et de s’émanciper, comme d’accéder à un rêve : devenir star.

Dans votre livre, vous montrez qu’il était néanmoins un Président controvers­é, notamment pour ses liens avec le sulfureux oligarque Igor Kolomoysky, révélés par le scandale fiscal des Pandora papers ?

Il y a beaucoup d’ironie dans la vie de Zelensky. Quand le scandale des Pandora papers éclate fin 2021, on se rend compte qu’il détient des comptes offshore et que des transactio­ns immobilièr­es de plusieurs millions de dollars ont été libellées de manière problémati­que. Il détient beaucoup de richesse, alors qu’il a voulu construire une image d’homme intègre, dans le rôle du col-bleu resté simple et honnête. En vérité, la corruption qu’il dénonce, même lui ne semble pas y échapper. Par ailleurs, des montages financiers le lient à Kolomoysky, qui est accusé de détourneme­nt de fonds et blanchimen­t, et interdit de séjour aux États-Unis. Mais c’est ce personnage qui a donné jadis sa chance à Zelensky en créant la plateforme audiovisue­lle qui a fait exploser sa notoriété, notamment avec la série Serviteur du peuple, suivi par 20 millions de téléspecta­teurs, pour un pays de 44 millions d’habitants. Avec cette fiction, il a entretenu une confusion entre virtuel et réel, utilisant même des images de sa série pour sa campagne présidenti­elle.

Et pourtant, la guerre lui a conféré une autre dimension ?

Ses zones d’ombre ne décrédibil­isent pas ce qu’il fait aujourd’hui ni ne justifie l’agression russe sur l’Ukraine ! Au contraire, cela permet de mesurer le chemin parcouru jusqu’à son héroïsme actuel. Il a même pris de court sa propre population, car beaucoup d’Ukrainiens le trouvaient nullissime dans son rôle de Président, et dangereuse­ment incompéten­t après huit années de tensions avec la Russie. Aujourd’hui, on célèbre son héroïsme, même si sa première promesse de campagne, mettre fin au conflit avec la Russie, est un échec politique.

Il y a eu un déclic ?

Quand les services secrets américains le préviennen­t d’une invasion alors que 150 000 soldats russes se sont postés aux frontières, lui ne veut pas en entendre parler. Mais 24 à 48 heures avant l’agression, il change d’avis, de visage, et de discours. En exprimant de la force avec des mots simples, il est devenu un chef de guerre, et une figure consensuel­le, car 90 % des Ukrainiens approuvent désormais ses actions alors que sa cote de popularité était au plus bas. Il entre désormais en résonance avec ce peuple qu’il galvanise, c’est un pilier de la résistance.

Suffisant pour obtenir la victoire dans cette guerre ?

Non, car la communicat­ion est un piège, il le sait. La sienne écrase celle de la Russie, mais elle génère aussi une illusion de plus, avec cette confusion dont il est coutumier : faire croire que l’armée ukrainienn­e, vaillante certes, peut militairem­ent remporter la bataille, alors que la puissance de feu de la Russie lui est tellement supérieure. Il s’agit d’abord de ne pas perdre, de résister, mais jusqu’à quand ?

La paix s’obtiendra-t-elle au prix de son sacrifice personnel ?

Je ne suis pas devin. Quand il a accédé à la présidence, il a dit qu’il ne ferait qu’un mandat. Quand il prend le pouvoir, Zelensky a réussi sa vie, il a une femme qu’il aime, de l’argent, il est heureux, mais il estime que l’Ukraine n’est pas à la hauteur de ses ressources. En février, l’objectif de Poutine était qu’il prenne la fuite, ce qu’il n’a pas fait. Il est resté à Kiev, et la population ukrainienn­e n’accepterai­t pas qu’un pouvoir fantoche y soit installé.

Est-ce que Zelensky est finalement la meilleure personne pour l’avenir de l’Ukraine ? Est-ce que sa position ne rend pas la paix encore plus difficile ?

C’est la meilleure question. C’est vrai qu’aujourd’hui, la sécurité de son pays et de l’Europe dépend un peu des choix de cet homme, mais au fond, Zelensky est pacifiste, ce n’est pas un va-t-en-guerre. Avec sa demande d’adhésion à l’Otan, il n’a fait que s’inscrire dans les pas de son prédécesse­ur, selon la volonté du peuple ukrainien face à la menace du voisin russe. Mais il a aussi compris que la neutralité est un préalable à toute négociatio­n avec la Russie, et il a déjà renoncé à l’Otan. Mais il ne renoncera pas à l’Union européenne. Sa communicat­ion est une arme de dissuasion massive, mais elle ne pèse pas lourd face à la menace nucléaire. Après, quand il joue au chef de guerre, il joue une forme de vérité, il endosse son rôle, ce n’est pas du tout un clown qui se déguise en général.

‘‘ Ses zones d’ombre ne décrédibil­isent pas son héroïsme”

‘‘ Il a compris que la neutralité est un préalable à toute négociatio­n avec la Russie”

Savoir + :

Volodymyr Zelensky, L’Ukraine dans le sang, par Gallagher Fenwick, éditions du Rocher. 17,90 euros. Une partie des recettes sera reversée au mouvement culturel France-Ukraine.

 ?? (Photo A. Carini) ?? Gallagher Fenwick, à Cannes : « Zelensky tient à la fois de Chaplin et Churchill. »
(Photo A. Carini) Gallagher Fenwick, à Cannes : « Zelensky tient à la fois de Chaplin et Churchill. »

Newspapers in French

Newspapers from Monaco