Monaco-Matin

Laurent Hissier AUX MAINS D’OR

Après avoir oeuvré 23 ans à Versailles, le doreur et peintre en décor a son atelier dans le vieil Antibes. C’est là qu’il se livre à son métier passion et initie les volontaire­s.

- Du faux marbre, tout léger... À s’y méprendre ! AURORE HARROUIS aharrouis@nicematin.fr

Il est là, couché sur la table. Attendant silencieus­ement son tour, malgré la plaie qui lui tiraille la cuisse. Saint-Roch patiente. Un enfant et un ange à ses pieds. Il a échappé à l’incendie de janvier 2021 qui a ravagé l’église de Voutezac, un petit village de Corrèze. Le toit, parti en fumée. Deux autels, traversés par les flammes.

La commune a voulu restaurer ce lieu de patrimoine. Y compris les sculptures qui n’avaient pas subi les affres du feu. Alors voilà, SaintRoch dans l’Atelier des empreintes, à Antibes. Sculpture du XVIIe en bois. Autour de lui, deux mains s’agitent. Sondent l’homme. Grattent les épaisses couches de peinture « qui empâtent l’ensemble » pour découvrir la couleur originelle, un bleu lumineux caché sous un beige marron assez commun.

Ce sont les mains du miracle. Celles de Laurent Hissier. Doreur et peintre en décor. Au chevet du patrimoine. On lorgne dans l’atelier antibois où il fait équipe depuis deux ans avec son ami Roge Irmani, spécialist­e de l’assemblage de verre et de céramique. En quête de feuilles d’or. «On pense que nous, doreurs, ne faisons que poser les feuilles d’or... Mais avant ça, il faut décaper, consolider, traiter, renforcer, durcir le bois. Puis poser une série de couches d’apprêt – blanc de Meudon ou/et colle de peau de lapin – pour parvenir à réaliser une dorure parfaite. Comme on ne peint pas directemen­t sur le bois, on ne dore pas à même le bois non plus. »

Assiette à dorer

Après tout ça, donc, viendra l’étape délicate. La cerise brillante sur le gâteau. Il faudra parer le support d’une « assiette » à dorer, une argile que l’on applique sous l’or et qui donne sa patine. Puis séparer les feuilles d’or à l’aide d’un couteau. Souffler sur l’une d’elles pour l’aplanir, la saisir délicateme­nt avec la palette à dorer et l’appliquer avec précision. Enfin passer la pierre d’agate pour apporter un surcroît d’éclat.

« Les feuilles d’or sont tellement fines que l’on ne peut pas les prendre avec les doigts, sinon elles se casseraien­t. » Laurent Hissier les connaît par coeur. Depuis plus de trente ans, il manipule des feuilles d’or 24 carats.

« J’étais musicien »

Un métier d’art qu’il a rencontré un peu par hasard, alors qu’il travaillai­t au château de Versailles. « J’étais musicien. J’allais partir en Espagne avec ma guitare pour jouer du blues rock. Et j’ai obtenu, sur concours, un poste dans la cellule d’accueil du public au château. Mes soeurs m’ont interdit de partir en Espagne ! » Pas rangé pour autant des guitares et sûrement inspiré par son superbe « bureau », Laurent Hissier se met à peindre des faux marbres.

Marqué au fer rouge par Versailles

« Ça m’amusait. » Sa technique, totalement autodidact­e, tape dans l’oeil de Daniel Sievert, alors responsabl­e de l’atelier de restaurati­on du château et compagnon du Tour de France.

« Ce dernier m’a appris l’art de la dorure sur les oeuvres et les collection­s du palais de Louis XIV. »

Il y restera pendant vingttrois ans, où il perfection­nera aussi sa technique du faux marbre auprès de Pierre Lafumat. Expérience éclatante.

« Ça m’a marqué au fer rouge... Mes plus beaux souvenirs ? Le carrosse du sacre de Charles X et le remeubleme­nt du salon de Mercure. Deux magnifique­s chantiers d’envergure. »

Encoller, adoucir, faire un glacis, concevoir un vernis maison...

Autant d’actes quasi chirurgica­ux que Laurent Hissier aime exécuter. Et dont il a transmis la gymnastiqu­e à sa fille, Charlotte, 23 ans. En bachelor design, elle travaille en alternance à l’atelier de Laurent. « L’année prochaine, elle fera une école d’art mural. C’est super, elle complète ce que je ne sais pas faire. »

À quatre mains, ils pourront poursuivre la palette des divers chantiers qui occupent Laurent Hissier. « Ça va de la chapelle du palais princier de Monaco où j’ai restauré les bronzes dorés qui n’avaient jamais été restaurés depuis 1880 à des lustres à la feuille d’or sur des yachts. En passant par un retable de l’église de TourretteL­evens. Et, bien sûr, la transmissi­on, assure le doreur. Dès que possible, aux Journées du patrimoine ou aux Journées des métiers d’art, j’initie les curieux à mon art. »

Atelier des empreintes. 18, rue Brûlée, à Antibes. Rens. 07.67.29.02.60. ou www.dorure-decor.fr

Sous l’or, l’« assiette » permet de donner différents éclats à l’or.

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco