Monaco-Matin

EXCEPTIONN­ELLE CRUAUTÉ

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr

On peut dire que le réalisateu­r suédois Ruben Östlund a de la suite dans les idées. En 2017, déjà, lorsqu’il reçoit la Palme d’or pour The Square, le natif de Styrsö admet qu’il se penche déjà sur son prochain projet autour de la mode. Cinq ans plus tard, nous y sommes. Triangle of sadness, pour « triangle de tristesse », les fameuses rides entre les sourcils qui indiquent que vous avez des soucis, est un film unique en son genre. Présentée en compétitio­n officielle, sa création est une expérience cinématogr­aphique rare tant elle secoue et divertit. Ça tombe bien, c’était le but recherché par son réalisateu­r. « J’ai mis cinq ans à écrire ce film en imaginant la projection devant un public en tenue de soirée dans la grande salle cannoise. Je chantonnai­s même la musique », lance-t-il à nos confrères de 20 minutes. Marié à une photograph­e de mode, Östlund a puisé dans son propre foyer les premières lignes de son ambitieux projet. « On parlait de la beauté comme monnaie, c’est attirant mais ça fait aussi peur car la beauté détermine la hiérarchie, c’est la base de ce film », embrayet-il face à la presse. Quelque part, Östlund a toujours des comptes à régler avec la société occidental­e. Pour y arriver, il place son monde à bord d’un yacht de luxe et sort la sulfateuse satirique pour massacrer ceux qui se servent de la misère du monde comme d’un porte-monnaie. Ainsi, un couple de vieux armateurs ayant fait fortune avec des mines antiperson­nel et des grenades se retrouve face à l’une de leurs propres créations de mort lors de l’attaque du fameux yacht par des pirates. L’ironie sublimée au possible.

Montagnes russes

Le film, découpé en trois parties distinctes, a quelque chose d’événementi­el. De secouant. De dynamique. « Nous avons voulu créer une sorte de montagnes russes pour adultes, quelque chose d’amusant et d’effrayant, poursuit Östlund. On a voulu montrer une expérience. Quand vous sortez du cinéma, vous devez avoir envie de partager, d’échanger sur ce que vous venez de voir. Je ne voulais pas avoir un public qui réfléchit et qui se comporte de façon intelligen­te. Nous avons la responsabi­lité de créer une expérience de cinéma unique, on veut que ça ressemble à un match de football, les gens ont applaudi, se sont lâchés. C’est exactement ce que l’on recherche. » Un écho aux projection­s cannoises qui ont reçu de chaleureux applaudiss­ements. De là à envisager une deuxième Palme d’or ? Le réalisateu­r n’exclut pas cette hypothèse tout en parsemant d’humour sa réponse. « Je crois que je pourrais très bien me faire à l’idée de recevoir une seconde Palme d’or même si je n’ose pas trop y penser. » Pis, il a même déjà songé où pourrait trôner sa nouvelle Palme potentiell­e : « Dans la chambre de mon fils de 18 mois ! » Il faut dire que le Suédois est devenu un réalisateu­r très demandé et convoité. Et ce n’est pas la star américaine Woody Harrelson, incroyable dans le film en capitaine bourré et sans filtre, qui dira le contraire : « Je voulais être dans son film, qu’il veuille ou non de moi (rires). » 5 RUE FRANÇOIS EINESY • 06400 CANNES • T.+ 33(0)4 97 06 36 90 • #314CASINO • WWW.314CASINO.COM +18

Quand on sort d’une projection cannoise dans le même état qu’après un match de football, c’est plutôt bon signe. Le génial réalisateu­r Rüben Östlund, palmé en 2017, a cette capacité de vous secouer en un film. Avec Triangle of sadness, baptisé Sans filtre en français, le Suédois réussit son coup. Sa satire est une pure expérience. La société, notamment par le prisme des plus riches, est passée au crible lors d’une croisière de luxe qui tourne au cauchemar. L’inversemen­t des rôles est absolument sublime puisque les survivants, riches, vont se rendre compte à quel point leur beauté et leur richesse ne servent plus à rien quand il s’agit de survie. À l’inverse du personnage d’Abigail, responsabl­e des toilettes au sein du yacht et seule capable d’être autonome sur une île déserte. Cette nouvelle commandant­e de fortune montre à quel point la hiérarchie actuelle, basée sur l’épaisseur du portefeuil­le et le pouvoir qui en découle, est fragile. La loi de la nature façon Östlund a quelque chose de grinçant, de pervers, de jouissif. N’y allons pas par quatre chemins, c’est une pure merveille. Refilez-lui la Palme d’or. Et basta.

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