Monaco-Matin

Isabelle Carré « UN MESSAGE DE TOLÉRANCE »

À l’affiche de La Dérive des continents (au sud) du Suisse Lionel Baier, présenté à la Quinzaine des réalisateu­rs, la comédienne incarne une bureaucrat­e européenne chargée d’organiser une visite présidenti­elle dans un camp de réfugiés en Sicile.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

out le monde aime Isabelle Carré. » C’est ce que nous a affirmé d’emblée Lionel Baier, lors de notre échange. Et après un rapide sondage autour de nous, on peut valider ses propos. Césarisée pour Se souvenir des belles choses en 2003, gratifiée de deux Molière et également plébiscité­e en tant que romancière, la Parisienne à la voix délicate nous a parlé avec conviction de La Dérive des continents (au sud), le film présenté à la Quinzaine des réalisateu­rs dans lequel elle tient le premier rôle. Celui d’une femme ayant perdu ses repères, profession­nels et affectifs, chargée d’assurer les préparatif­s d’une visite présidenti­elle des «M& M’s» – comprenez Macron et Merkel – dans un camp de réfugiés de Sicile. Dans ce film élégant, le Suisse Lionel Baier alterne entre les grands enjeux de société et une dimension bien plus personnell­e, entre gravité et légèreté aussi.

Nathalie Adler, votre personnage, est assez peu appréciabl­e au départ...

C’est vrai que c’est quand même une femme qui a abandonné son fils, pour vivre avec une femme. Elle est partie parce qu’il tolérait mal son homosexual­ité, comme son ex-mari. Mais ce que je trouve beau, c’est que dans leurs retrouvail­les, même si c’est tendu au début, on se rend compte qu’il y a beaucoup d’amour. Elle lui donne aussi un exemple assez extraordin­aire de liberté.

Ce fils, joué par Théodore Pellerin, est un idéaliste. Alors que sa mère a déjà renoncé à beaucoup de luttes ?

Oui, cela les a éloignés et cela leur permet aussi de se retrouver, comme s’ils faisaient un pas l’un vers l’autre. Cette relation intime, c’est le coeur du film. J’ai aimé le fait qu’elle se tisse au milieu d’un sujet de société qui est quand même l’un des plus graves auxquels on a à faire face.

Lionel Baier insiste beaucoup sur les travers de la communicat­ion politique...

Oui, il traite du sujet des migrants, mais du point de vue des instances européenne­s, avec une grande place pour la communicat­ion des politiques. On connaît mal les arcanes de tout ça, mais on voit comment ils utilisent à leur profit la réalité des camps de réfugiés pour faire de la « matière » et avoir de belles photos dans les journaux. Voir ces choses se dérouler sous nos yeux, c’est à la fois terrible et drôle. Et tellement décalé par rapport à la vie de ces gens...

Il se penche aussi sur l’immense machine qu’est l’UE ?

Machine, le mot est juste. Dans cette organisati­on, certains essayent de bien faire, ils s’engagent, ils sont de bonne foi, mais ils n’ont pas les solutions. Ce que j’apprécie dans la vision de Lionel Baier, c’est qu’il donne à voir tout ça de manière brillante, sans asséner de leçon.

Certaines scènes mènent vers un registre plus fantaisist­e...

Cela vient en écho de l’absurdité de la situation. Repeindre un camp de migrants et l’abîmer à nouveau pour qu’il fasse plus « vrai » durant une visite présidenti­elle, c’est tellement absurde... Lionel s’est vraiment inspiré de ces comédies italiennes à la fois intimes, drôles, cruelles, politiques, mais aussi intimes. Avec des gens modestes qui se battent dans leur coin face à quelque chose de kafkaïen.

Tourner à Catane, dans le sud de l’Italie, a apporté une dimension supplément­aire ?

Oui, parce qu’on était immergés dans cette réalité. J’avais déjà connu ça en allant dans la jungle de Calais, avec Jean-Pierre Améris [pour Maman est folle, 2007, Ndlr]. Cette fois, on a tourné dans une reconstitu­tion de camp, sur un ancien site de l’armée américaine. À l’écran, en revanche, on voit des personnes qui sont migrantes. Le fait de toucher les objets, de rencontrer les gens, ça change tout. Ce ne sont plus des anonymes, des chiffres du nombre de morts en mer qui défilent sur votre écran. Je pense que le film arrive à nous faire toucher cette réalité sensible.

En cette période de repli et de crispation­s, ce long-métrage a-til vocation à faire évoluer les mentalités ?

Oh oui, c’est mon espoir ! J’espère que ce film sera reçu comme un message de tolérance et de fraternité. Il n’y a jamais eu autant de migrations qu’en 2021 et on sait qu’à cause des guerres, les chiffres vont atteindre un record cette année. Au-delà des guerres, il y a aussi des problèmes climatique­s. Il faudra vivre avec ce sujet pendant les décennies à venir. On ne peut pas nier les problèmes, fermer nos barrières et croire que ce sera fini. Mais on l’a vu pendant les confinemen­ts, on est liés les uns aux autres.

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(Photos Sébastien Botella)
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