12 juillet 1972 : improbable rencontre à Juan-les-Pins
Deux ans après la séparation des Beatles, le bassiste étrenne son nouveau groupe – Wings – dans la Pinède Gould. Il croise le peintre Marc Chagall dans un salon de l’hôtel Belles Rives.
Peut-on être un has been lorsqu’on vient tout juste de souffler ses 30 bougies ? Au début de l’été 1972, la question se pose cruellement pour Paul McCartney. Deux ans seulement après la séparation des Fab Four, « Macca » est au creux de la vague. En France, Une belle histoire de Michel Fugain truste le sommet du hit-parade. Outre-Manche, Donny Osmond triomphe avec Puppy Love, loin devant un certain Michael Jackson qui place en 10e position l’un de ses premiers hits en solo – Rockin’Robin.
Et l’ex-scarabée ? Son dernier album, Wild Life –le premier enregistré avec son nouveau groupe Wings – a été boudé par le public et éreinté par la critique. Au moment où il amorce sa tournée européenne, Paul est rongé par le doute : estil toujours capable de composer des tubes ? Saura-t-il encore séduire cette foule qui, Yesterday, l’adulait ? En fin de matinée, ce 12 juillet, il décide de se changer les idées en visitant Juan-les-Pins. Ses yeux s’agrandissent lorsqu’il découvre la scène dressée dos à la mer. Celui qui a enflammé des stades entiers, au temps des Quatre de Liverpool, est enchanté à l’idée de jouer dans ce carré de pinède où Ella Fitzgerald a enregistré The Cricket
Song huit ans plus tôt. Son visage se détend : «Tu en penses quoi, Linda ? C’était pas une bonne idée de commencer cette tournée dans le sud de la France ? On se croirait en vacances. »
(1) L’intéressée, une jeune blonde au regard pastel, fronce les sourcils : «Siça se passe comme à Ollioules (2), merci bien ! C’est tout juste s’ils ne m’ont pas balancé des tomates. Même pour une végétarienne, ça craint ! Forcément, tes fans préféreraient voir John à tes côtés. Je devrais peut-être porter des petites lunettes rondes ? » Paul hausse les épaules sans répondre. Sa compagne s’énerve : « On t’a traduit la chronique du quotidien local ? Var-matin parle ‘‘d’agréables salmigondis’’. Le journaliste écrit qu’il ne voit ‘‘pas nettement où se situe la création artistique’’ dans notre travail… »
« Je vous reconnais ! »
« Macca » l’interrompt d’un revers de main. «On en a déjà parlé. Je préfère chanter des titres moins connus ou des reprises de Little Richard, plutôt que de piocher dans le répertoire des Beatles. Sinon, à 80 ans, je serai toujours en train de chevroter Let It Be !» Il sourit : « Allez, arrête de bouder et allons déjeuner. J’aimerais avoir le temps de te montrer deux ou trois accords avant ce soir. »
Le couple regagne l’hôtel
Belles Rives. Dans le hall, il croise un jeune reporter, Bruno Ducourant, et un photographe au talent prometteur, Claude Gassian. Ils sont témoins d’une rencontre improbable. Arrivé dans le lobby du palace, McCartney se fige. Son regard croise celui d’un octogénaire assis dans un salon. Il hésite, puis se décide et s’avance. Visiblement intimidé : « Pardon… Vous êtes bien Marc Chagall ? J’admire énormément votre oeuvre. »
Le visage de l’artiste vençois s’éclaire : « Ah, mais je vous reconnais, vous êtes l’un des Beatles ! »
La conversation s’engage, glisse sur la musique, s’attarde longuement sur la peinture. Peu de gens le savent à l’époque : le bassiste est un amateur éclairé. Linda met fin à l’entretien au bout de quelques minutes. « Darling, si tu ne veux pas que je fasse encore semblant de jouer ce soir, il faudrait songer à manger vite avant de retourner bosser. »
1. Ces dialogues ont été reconstitués à partir de diverses interviews accordées par l’exBeatles, ainsi que des récits contenus – notamment – dans les excellents livres
de Philip Norman (éditions Robert Laffont) et
signé par Paul lui-même (éditions Baker Street).
2. Wings s’est produit au centre culturel de Châteauvallon trois jours plus tôt.