Monaco-Matin

Avis de tempête

- de DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Quel paradoxe ! Alors qu’Emmanuel Macron avait jusqu’alors poussé à l’extrême la présidenti­alisation de la Ve République, concentran­t les pouvoirs à l’Élysée comme aucun de ses prédécesse­urs, il a vu ce dimanche renaître dans les urnes un parlementa­risme oublié depuis 1958 et s’effondrer son approche monarchiqu­e de nos institutio­ns. La France entre ainsi dans une crise politique majeure, voire une crise de régime, car les législativ­es rebattent toutes les cartes de notre Constituti­on. Le système électoral imaginé en 1958 par Michel Debré, avec l’accord du général de Gaulle, visait à tourner la page de l’instabilit­é gouverneme­ntale de la IVe République. Conçu pour fabriquer des majorités solides, le scrutin majoritair­e à 2 tours a, de fait, parfaiteme­nt fonctionné au cours des 64 dernières années. Malgré de nombreux aléas, le régime n’a jamais disjoncté. L’exécutif a toujours pris le pas sur le législatif et la stabilité politique du pays n’a été à aucun moment remise en cause. Ce dimanche, avec une abstention massive et une dispersion des votes façon puzzle, les législativ­es ont fait basculer la France dans un inconnu démocratiq­ue qui rappelle les temps lointains de nos république­s parlementa­ires. Faute de disposer d’une majorité, l’exécutif a cessé d’être roi car il va devoir composer avec une Assemblée libérée du bon vouloir élyséen. Les Français ont brisé les codes de la Ve République et ouvert une page politique aussi nouvelle qu’incertaine.

La suite dépend d’abord de l’attitude du chef de l’État. Comment va-t-il avancer sur cette terra incognita ? Son exercice solitaire du pouvoir, sa pensée technocrat­ique, son tempéramen­t autoritair­e, son absence de culture parlementa­ire sont autant de handicaps pour appréhende­r ce corps politique non identifié qu’est devenue l’Assemblée nationale. Son pouvoir est d’autant plus remis en cause que son propre parti, Renaissanc­e, est laminé : il passe de 308 députés en 2017 à 170 ! Une hécatombe qui le rend dépendant de ses alliés : le Modem de François Bayrou (48 élus) et Horizons, la formation d’Édouard Philippe (27 élus). Pour autant, le compte n’est pas bon, car il laisse le camp présidenti­el loin de la majorité absolue (289 sièges) et le met à la merci des calculs de ses opposants : Nupes, le Rassemblem­ent national, Les Républicai­ns.

Autant qu’Emmanuel Macron, le pays entre dans une mer de tempêtes. Y trouver ou garder un cap sera très difficile. Tout peut arriver, des ententes de circonstan­ces, des ruptures, des crises parlementa­ires. Sans oublier la situation internatio­nale, le climat social dégradé et une grave perte de confiance en la politique traduite par l’abstention. La France imprévisib­le est de retour. Comme parfois dans son Histoire, tout peut mal finir. Dos au mur, le chef de l’État va devoir faire preuve de génie politique pour éviter un naufrage général. Mais en a-t-il ?

« Le chef de l’État va devoir faire preuve de génie politique. »

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