Comment expliquer cette percée historique du RN ?
Le parti de Marine Le Pen catapulte trois députés azuréens à l’Assemblée. Comment la fédération du Rassemblement national 06, secouée en interne, a transformé l’essai ?
C’est une percée historique pour le parti à la flamme dans les Alpes-Maritimes. Une brèche inédite depuis 36 ans. En 1986, Jacques Peyrat, l’ancien maire de Nice [1995-2008], alors encarté au Front national, est élu à la faveur d’un scrutin proportionnel par listes. À ses côtés, Albert Peyron, responsable du parti de Jean-Marie Le Pen à Cannes. Les deux hommes perdront leur siège en 1988 avec le retour du scrutin majoritaire, mais leur mandat, certes fugace, marque le début de l’ancrage politique de l’extrême droite dans le département.
Une implantation politique qui n’a cependant pas permis à des frontistes d’accéder, ensuite, à l’Assemblée. Jusqu’à hier soir. Le Rassemblement national version 2022 propulse trois députés azuréens au Palais Bourbon. Trois duels remportés sur les quatre. Trois duels face à un candidat d’Emmanuel Macron. Alors que dans la 9e circonscription, contre la Républicaine Michèle Tabarot, le RN a plié avec plus de 8 200 voix de retard.
Quand la droite est forte, le RN plie
Dans la 4e circonscription, à Menton et ses environs, une proche de Marine Le Pen, Alexandra Masson (56,2 %), loin de ses terres niçoises, écrase de 4 302 voix la sortante, Alexandra Valetta-Ardisson. Dans la 2e, même schéma, Loïc Dombreval, député sortant de la majorité présidentielle, capitule face au mariniste Lionel Tivoli, patron de la fédération des AlpesMaritimes, lui aussi parachuté loin de Vallauris où il est élu municipal d’opposition. Enfin, dans le bassin cagnois et laurentin, victoire au finish de Bryan Masson avec 922 voix de plus que le maire de La Colle-sur-Loup, Jean Bernard Mion. Dans cette 6e circonscription, pas de sortant, pas de nomades politiques non plus. Comment la fédération du RN 06, en proie à des guerres d’ego et à de fortes turbulences internes nées après le scrutin régional de 2021, a-t-elle réussi à chambouler le paysage législatif local ? Bien sûr, le RN a surfé sur la vague nationale, très favorable. À l’exception de 1986-1988, où ils étaient 35 à siéger, le parti fondé par Le Pen père en 1972 dépasse, avec 89 élus, le nombre de députés nécessaires à la formation d’un groupe parlementaire, descendu de 20 à 15, il y a 13 ans. Mais cela n’éclaire pas tout.
Dans le département, plus qu’ailleurs, les lignes entre la droite traditionnelle et la « droite » réinventée par le Président sont brouillées. Et beaucoup ont eu du mal à s’y retrouver. Le vote RN est devenu le vote refuge, la valeur sûre, une force politique stable pour l’électeur de droite traditionnelle, déçu par tous ces Républicains passés chez Macron.
Vote anti-Macron
Globalement, là où la droite est très droite, là où la droite ne donne aucun signe de macronisation, officielle ou officieuse, le RN n’a même pas eu droit de cité. Comme dans la 1re circonscription, la 5e, la 7e, la 8e et la 9e. Exception faite de la 3e, où l’extrême droite s’est torpillée toute seule, en divisant ses voix entre Benoît Kandel, tout frais frontiste et Philippe Vardon, soutenu par Reconquête ! Une candidature unique aurait propulsé le challenger d’extrême droite en tête du premier tour. Il avait alors toutes ses chances face à l’élu Horizons de Christian Estrosi, Philippe Pradal.
À ne pas négliger, aussi, la fragilisation du front républicain induit par la normalisation du parti qui s’est, de fait, aussi « institutionnalisé », notamment avec l’apparition d’anciens UMP, comme la gagnante de l’est, Alexandra Masson et, dans le même temps, l’éviction d’un Philippe Vardon qui, même s’il a porté haut les couleurs du RN sur Nice, traînait encore un lourd fardeau : son passé identitaire.
Enfin, un autre phénomène, mais difficile à quantifier. Des électeurs de la Nupes qui ont pu glisser un bulletin de vote RN dans l’urne. Seule alternative pour un vote anti-Macron, anti-système. Un vote chamboule-tout, et peu importe l’étiquette.