Monaco-Matin

En Ukraine, les derniers déplacés fuient l’enfer des bombardeme­nts

Le récit d’une centaine de familles venue en autocar jusqu’à la gare de Pokrovsk, où il est très risqué de s’aventurer, afin d’être évacuée. Au péril de leur vie car le danger est permanent.

- De notre envoyé spécial en Ukraine, PATRICK FORESTIER

V «ous entrez dans la zone des opérations des forces unies ukrainienn­es. Faites attention à vous. » Sur le grand panneau qui marque l’entrée de la région du Donbass en guerre, voilà ce qui est écrit en guise de bienvenue. « Prie-Dieu, protège ton peuple, protège l’Ukraine », peuton lire quelques kilomètres plus loin au bord de la route déserte qui mène à Pokrovsk. Rares sont les habitants dehors. Les fenêtres des maisons sont doublées d’épais panneaux de contreplaq­ué et les rideaux de fer des magasins sont baissés.

Des roses pour égayer la grisaille de Pokrovsk

Pokrovsk, ville de 65 000 habitants de la région du Donetsk, semble vide. Sans les parterres de roses qui peuplent les terre-pleins, l’endroit serait lugubre malgré le soleil. C’est un ancien gouverneur, de retour dans les années 60 d’une visite de Versailles où il fut subjugué par les roseraies du château, qui exigea que chaque habitant plante une rose : ils furent un million à exécuter l’oukase du gouverneur. De quoi égailler la grisaille des terrils et rappeler la couleur rouge du Parti. Aujourd’hui, malgré la guerre, et la fin de l’Union soviétique, les roses du Donbass persistent. Même devant la gare, la dernière qui fonctionne encore pour évacuer les déplacés qui fuient les bombardeme­nts de l’armée russe, pourtant censée être venu les libérer du joug ukrainien.

Une centaine de familles vient d’arriver en autobus. Elles avaient été regroupées sous les tirs à Lyssytchan­sk, avant d’être évacuées à toute vitesse par les bénévoles alors que la bataille fait rage. De l’autre côté de la rivière Donets, la ville jumelle de Sievierodo­nestsk est aux trois quarts conquise par l’armée russe.

« Cette guerre est un désastre »

Un dernier carré de combattant­s ukrainiens se bat encore dans l’usine chimique Azot. Une poignée de civils étaient coincés dans cet enfer sur terre. Ils sont là aujourd’hui. « Ce sont probableme­nt les derniers à pouvoir quitter la zone. On doit évacuer tout le monde de la région. C’est trop dangereux de rester », explique le chef local de la Sécurité civile Iakiv Nemykin, vêtu de son uniforme bleu. « Cette guerre est un désastre. Les deux peuples n’y sont pour rien. Les politicien­s sont coupables et les civils trinquent. »

La ville a déjà reçu des missiles. La gare aussi. Deux wagons de marchandis­es ont explosé un peu plus loin sur les voies. « 40 tonnes de vivres sont parties en fumée » , assure un humanitair­e ukrainien. Ce risque, Nina Gloskova, 37 ans, et son mari Alexander, 34 ans, l’ont pris avec leurs quatre petites filles, Lada, l’aînée de 12 ans, Victoria 7 ans, Anna, 3 ans et la benjamine Ekathérina, 18 mois. «Des secouriste­s sont arrivés en disant : “Venez avec nous maintenant. Après, ce sera trop tard. On ne pourra plus vous évacuer” ! ».

« On ne s’habitue pas à ce genre de situation »

« On est parti en cinq minutes avec nos sacs, raconte la jeune femme, les yeux embués de larmes. On était resté trois mois dans le soussol de notre immeuble. On l’avait emménagé avec des matelas. Les enfants ne sont jamais sortis. Ils sont tombés malades. Heureuseme­nt, ils ont guéri grâce à des médicament­s fournis par des bénévoles restés dans le quartier. À chaque explosion, les murs tremblaien­t. Les petites sursautaie­nt de peur. On ne s’habitue pas à ce genre de situation. Elles garderont des séquelles de ce qu’elles ont vécu ». « Moi, j’allais chercher du bois et de la nourriture pour cuisiner sur un feu devant l’immeuble en espérant qu’un obus ne me tombe pas dessus, raconte Alexander, le mari de Nina, technicien dans une aciérie. Nous n’avons jamais pensé qu’une guerre arriverait chez nous. On a vécu des décennies de paix avec la Russie. Mon frère y habite. Je suis souvent allé le voir. Jamais je n’ai ressenti du mépris comme Ukrainien, ni rencontrer de problèmes ».

« Poutine ne va pas nous tirer dessus ? ! »

Russophone comme la majorité des habitants du Donbass, il croyait en toute logique que Poutine allait épargner la population qu’il dit vouloir sauver, annexant par la même occasion des anciens territoire­s de la grande Russie, conquis jadis par la reine Catherine II.

En bombardant les villes, c’est le contraire qui se produit : 90 % des habitants de cette région soi-disant acquise à Moscou sont partis se réfugier à l’ouest de l’Ukraine, pour éviter la férule du Kremlin et fuir les soldats russes, qui ne sont pas accueillis avec des fleurs comme le pensait, en nouveau tsar, Vladimir Poutine. Ils se comportent en effet comme des soudards et font peu de cas des population­s civiles, des cousins slaves qui parlent pourtant la même langue. « Si je ne suis pas restée dans mon village de Roty, c’est parce que les Russes l’ont rasé, lance depuis le compartime­nt voisin Luba, une femme de 61 ans. Mon frère est mort brûlé dans sa maison en flammes. Je n’ai pas pu l’enterrer à cause des combats. On se disait : Poutine a dit qu’il allait nous protéger. Il ne va pas nous tirer dessus ? ! ».

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Devant la gare de Pokrovsk, qui a déjà reçu des missiles, des familles venues en autobus fuient les bombardeme­nts de l’armée russe. Parmi elles, figurent Nina et son mari Alexander, ainsi que leurs quatre enfants.
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(Photos P. F.)
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