Monaco-Matin

Fabrice Caro QU’EST-CE QU’IL EST DRÔLE

Maestro de l’humour absurde en BD, Fabrice Caro s’affirme aussi comme écrivain. Avec Samouraï, son quatrième roman, il réussit le mélange risqué de la franche déconnade et de la vraie tendresse.

- AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

C’est encore un quadra paumé. Un loser superbe qui nous embarque avec lui dans les tracasseri­es de son cerveau fatigué. Alan, le personnage principal de Samouraï, quatrième roman de Fabrice Caro, ressemble à s’y méprendreà­ceuxde Broadway (2020) et du Discours (2018). On pourrait craindre une redite, on se bidonne encore tout du long. On s’émeut même devant tellement de médiocrité, tant ce héros qui n’en est pas un pourrait être chacun d’entre nous. « Ces trois personnage­s sont un peu interchang­eables. Je les ai appelés Adrien, Axel, Alan, c’est ma trilogie, un archétype que j’adore retrouver quand j’écris », raconte au téléphone le Montpellié­rain de 48 ans. Par ailleurs, nouvelle coqueluche de la BD d’humour sous le nom Fabcaro depuis le carton Zaï Zaï Zaï Zaï (2016), multiprimé et adapté au théâtre puis, cette année, au cinéma avec Jean-Paul Rouve.

Son anti-héros, cette fois, c’est un écrivain qui cherche à pondre un roman sérieux, qui s’imagine déjà couvert des éloges élégants de Claire Chazal ou des commentair­es cool des Inrocks, et qui n’est pas fichu de trouver un sujet. C’est aussi ce pauvre type à qui ses voisins ont demandé de surveiller leur piscine et qui reste impuissant face au verdisseme­nt inexorable de la flotte. C’est surtout un prétexte pour croquer les travers et les névroses de beaucoup de monde.

« Je pars sur un fil rouge et j’observe.

Je fais l’éponge. Il y a des choses qui me ressemblen­t, d’autres que j’ai vues ou que j’invente. Le monde qui m’entoure, c’est mon carburant » ,explique Fabrice Caro. La phobie d’être le « volontaire désigné » dans le public d’un spectacle par exemple, c’est lui. L’ego exagéré du primo romancier, nettement moins, assure celui qui refuse les émissions télé parce qu’il est « trop émotif ». L’abus du terme « résilience », c’est tout le monde. « Chaque époque à son tic de langage, ça fait du bien de rire avec ça. » Comme toujours, chez Fabrice Caro, c’est bien loufoque et délicieuse­ment moqueur. Mais là où ses BD maîtrisent l’art de l’absurde, ses romans se laissent aller à un certain romantisme. « Ça me permet d’aller vers plus de sentimenta­lité, de mélancolie, confirme l’auteur du Discours, également adapté au cinéma, en 2020. Le pur cynisme, la pure moquerie, ça ne me plaît pas, il faut que ça soit contrebala­ncé. »

Le rire, outil du pudique

Et il semble même que pour regarder ses contempora­ins avec autant de précision, il faut les aimer profondéme­nt. « C’est vrai. Je me suis longtemps considéré comme misanthrop­e et, plus ça va plus je crois que non.

Les gens me touchent, en fait. C’est sans doute le fait de rencontrer de plus en plus de monde, je me rends compte que chacun fait avec ce qu’il a, ce qu’il est. On est tous névrosés, on fait ce que peut, ça me rend les gens attachants. Puis, c’est plus intéressan­t de parler de ceux qui échouent que de ceux qui réussissen­t, je préfère les failles chez les gens. » Et contrairem­ent à son personnage qui cherche une idée de « roman sérieux », Fabrice Caro n’est pas près de lâcher l’humour,

« l’outil » qui lui permet justement de parler de lui et des autres. « Un roman avec de l’humour, c’est très sérieux pour moi ! Un roman sans humour, je ne saurais pas faire, je suis trop pudique pour m’en passer. Si je n’avais pas l’humour, je ne pourrais pas écrire sur les sentiments. » L’humour comme antidote, aussi, à la prise au sérieux généralisé­e ? Oui, des analyses tout le temps, des spécialist­es de tout… L’absurde et la dérision c’est une façon de remettre à distance. On vit une période anxiogène et on est les premiers à la rendre comme ça, on s’y complaît. L’humour sert à prendre du recul et à dégonfler les ego. »

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Samouraï. Fabrice Caro. Éditions Gallimard collection Sygnes. 224 pages. 18 euros.

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