Monaco-Matin

Les Mentonnais pleurent « Gaby le magnifique »

Le patron emblématiq­ue du restaurant « Le Petit port », que beaucoup voyaient comme une figure mentonnais­e, est mort mercredi. Laissant derrière lui le souvenir d’un homme d’exception.

- ALICE ROUSSELOT

Le Petit port est en deuil. Et avec lui, la ville de Menton tout entière. Mercredi, Gaby est mort. Gabriel Santucci, à l’état civil, même s’il est fort à parier que peu de monde s’amusait à décliner son nom. C’était Gaby. Une figure mentonnais­e en quatre lettres que tout le monde connaissai­t, de près ou de loin. Avec une gueule aussi grande que le coeur. Certains l’ont découvert à l’Hôtel du parc, où il a fait ses armes à 18 ans. D’autres au Queenie, la boîte de nuit dont il était devenu le patron et où George Weah – le footballeu­r devenu président – s’improvisai­t parfois pizzaïolo. D’autres encore au Lion d’or, en face du marché des Halles, où il est resté 25 ans. Ou à la plage de l’hôtel Napoléon. Depuis 2007, Gaby était devenu le capitaine du Petit port. À la tête d’un équipage très familial : son épouse Lisa en salle, sa soeur Nicole en cuisine. Son fils Boris en formation.

« Avec lui, c’était la fête tous les soirs »

« Je suis né dans un resto », racontait souvent celui qui, à 10 ans, montait sur un tabouret de bois pour atteindre le percolateu­r de la machine à café. Lui, le fils d’Henri, gardien du stade Decazes. Le petit-fils de Victor, un Italien qui avait combattu le fascisme. «Ilest arrivé en France pieds nus. Menton. Puis Toulon. Là, il a rencontré Fernandel », rapportait Gaby, qui a gardé un amour fou pour le cinéma populaire. Fernandel, donc, mais aussi Raimu, Pagnol. Même si dans tous les établissem­ents qu’il a gérés, la star, c’était lui.

« On venait pour les plats de qualité, mais aussi pour le personnage. Avec lui, c’était la fête tous les soirs. C’était le spectacle, comme on ne le retrouvera plus jamais dans un restaurant. Il était le bon vivant par excellence, et ceux qui venaient manger n’étaient pas des clients mais des amis. Il avait toujours une attention, s’asseyait à chaque table après son service pour partager un moment avec eux », souligne Karim Djekhar de l’Huilerie Saint-Michel, qui a connu Gaby en tant que fournisseu­r et ne l’a plus vraiment quitté. Un soir, au Napoléon, le cahier des réservatio­ns ne comportait ainsi aucun nom normal. Il n’y avait que des amis de Gaby.

« Au Lion d’or comme au Petit port, on ne savait jamais à quoi s’attendre, reprend l’artisan. On entendait souvent des mots grossiers que seul Gaby pouvait lâcher. Un autre patron l’aurait fait, il aurait fermé boutique peu de temps après… ! Mais dans sa bouche à lui, ça voulait dire je t’aime. » Gaby se montrait ainsi facétieux avec les touristes. Allant jusqu’à proposer au menu une salade de clitoris. «Et sur commande ! À 69 euros les 100 grammes, une affaire. À 80 % ce sont des femmes qui me demandent de quoi il s’agit. Je leur réponds que c’est un mollusque que l’on pêche sur les rochers ! Excellent avec du vinaigre », expliquait­il à l’époque, hilare. Pas franchemen­t décidé à prendre sa retraite, car, disait-il, « je marche au coeur et j’en ai toujours pour ce métier ».

Ambassadeu­r des Stan Smith à Menton

Aujourd’hui, Karim Djekhar a une pensée pour tous les proches de Gaby. Notamment Loulou Garnero, avec qui il a vécu tant de choses. Et sa famille qui comptait tant, bien sûr. « Ils étaient toujours à trois, avec sa soeur Nicole et Lisa. Et ne faisaient jamais rien l’un sans l’autre », résume Karim. Rappelant que Gaby avait coutume de dire que son frère était le bon. Sa soeur, mère Teresa. Et lui, Lucifer. Mais un Lucifer gentil, précise son ami. « Quand il cherchait un produit spécifique, il m’appelait. Et je me pliais en quatre pour trouver ce dont il avait besoin. On avait tous envie de lui faire plaisir, parce qu’on savait que réciproque­ment, il l’aurait fait », ajoute-t-il. Le responsabl­e de l’Huilerie SaintMiche­l exprime aussi sa peine pour les fils spirituels de Gaby. Ceux qu’il a pris sous son aile, sans jamais quitter ses Stan Smith – même quand la mode était passée – arguant que les gens finiraient par de nouveau en porter à force d’en voir à ses pieds. Désormais trentenair­es, ces jeunes façonnés par la méthode Gaby ont peu à peu constitué un beau vivier pour la restaurati­on. Y compris à Monaco. Angelo en est l’exemple. Aujourd’hui employé au Monte-Carlo Bay, il a commencé à travailler à 18 ans à la plage du Napoléon. « C’est Gaby qui m’a tout appris, il a fait de nous des hommes. Quand vous passez entre 12 et 13 h avec quelqu’un, il vous éduque. C’était devenu un membre de ma famille, il m’a accompagné dans tous les épisodes de ma vie. Il avait l’esprit ouvert – une vision moins étriquée que la mienne – avec des principes à l’ancienne », expose-t-il. Soulignant qu’encore aujourd’hui il coupe le poisson comme Gaby le faisait. Et qu’il se pourrait bien que quelque part, à Tahiti, cette technique s’impose aussi. Car un autre poulain passé par l’école Santucci – FX – y officie.

« On voulait qu’il soit fier de nous »

« Plusieurs fois, Gaby l’a relevé pour le remettre sur la bonne voie. FX se remobilisa­it par peur de le décevoir. Et Gaby lui a ainsi ouvert d’autres horizons, raconte Angelo. On voulait tous être Gaby, au point qu’on s’était tous acheté un collier en perles pour lui ressembler… Partout où on est allés ensuite, on voulait qu’il soit fier de nous. » Pour le trentenair­e, Gaby avait une grande qualité : il arrivait à faire sentir à chacun qu’il comptait pour lui. Chaque sourire, chaque témoignage de sympathie était un cadeau. « Même s’il était très dur au travail, et intransige­ant », nuance Angelo, pour qui Gaby était un deuxième papa, et l’oncle de ses enfants. Et Karim Djekhar de conclure, la voix étranglée : «Sa mort brise le coeur de beaucoup de monde. On perd tous un petit bout de nous… »

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(Photos archives NM et DR) Gaby Santucci a marqué toutes les génération­s de Mentonnais.

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