Monaco-Matin

L’Ukraine enregistre sa plus lourde défaite depuis Marioupol

Kiev retire ses troupes de Severodone­tsk, verrou stratégiqu­e du Donbass où Moscou concentrai­t son offensive. Un revers de taille, mais peut-être pas décisif au point de faire basculer le conflit.

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C’était à craindre étant donné les échos remontant de la ligne de front ces derniers temps : les Ukrainiens ont donné hier l’ordre à leurs forces de se retirer de Severodone­tsk. Ils cèdent ainsi un verrou stratégiqu­e, qui constituai­t depuis plusieurs semaines le coeur des combats dans le Donbass.

Les analystes occidentau­x prévenaien­t ces temps derniers : le pilonnage incessant mené par le rouleau compresseu­r russe a fini par user le moral des troupes de Kiev, leurs unités, leurs équipement­s. Voir une ville tomber, après plusieurs semaines de combats meurtriers, est donc logique.

« Des pertes terribles »

« Les unités ukrainienn­es sont épuisées, exsangues. Elles ont eu des pertes terribles avec des bataillons complèteme­nt neutralisé­s », explique un haut gradé français sous couvert de l’anonymat, évoquant des unités de 300 ou 400 hommes dont il n’est resté qu’une vingtaine de valides.

La ville subissait depuis des semaines une pluie de bombes russes (ci-dessus le 7 juin).

« Ceux qui arrivent en renfort savent qu’ils vont en enfer. Peut-être assistet-on à une phase de bascule sur l’usure morale », ajoute-t-il, en référence à l’euphorie des premières semaines, lors desquelles les Ukrainiens avaient bloqué l’avancée russe et forcé Moscou à se concentrer sur l’est du pays.

La perte de Severodone­tsk, jugée tactiqueme­nt fondamenta­le pour le contrôle du Donbass, constitue à la fois un revers pour Kiev et le symbole d’un rapport de force aujourd’hui compliqué.

« Zelenski n’a presque plus d’hommes pour faire la guerre », assurait cette semaine sur Telegram le politologu­e russe pro-Kremlin Sergueï Markov. « L’Otan peut envoyer énormément d’armes. Mais l’Otan a peur d’envoyer ses soldats. ».

Les Ukrainiens, qui n’ont pas renoncé à la ville jumelle de Lyssytchan­sk, n’ont toutefois pas de raison d’anticiper un basculemen­t en profondeur du conflit dans l’immédiat. « La vision globale – une guerre lente de positions retranchée­s – n’a guère changé », résume Ivan Klyszcz, chercheur à l’université estonienne de Tartu. «Onnepeut pas s’attendre à une percée russe massive. Le retrait était probableme­nt prévu auparavant et peut être considéré comme tactique », affirmet-il, soulignant que la résistance ukrainienn­e a permis à Kiev de consolider ses arrières.

« Faire payer cher chaque kilomètre carré »

« Les Russes peuvent avancer tant qu’ils sont couverts par le feu de leur artillerie. Sinon, cela devient aussi très dangereux pour eux », assure Alexander Grinberg, analyste au Jerusalem Institute for Security and Strategy (JISS), rappelant leur volonté « d’éviter le contact direct » avec l’ennemi. Percer le front et pénétrer rapidement supposerai­t aussi une mobilisati­on matérielle et humaine dont Moscou n’est pas forcément capable. « Aucune solution n’est prévue pour gérer la pénurie des ressources humaines côté russe. Tant que Moscou n’annonce pas une mobilisati­on générale, sa progressio­n continuera d’être lente et la guerre d’être longue », poursuit Alexander Grinberg. Depuis le début de la guerre, les Ukrainiens ont choisi de résister, parfois jusqu’au dernier homme, sur les points stratégiqu­es clés. La guerre profitant à la défense, cette tactique a ralenti son adversaire, fût-ce à des coûts humains exorbitant­s. « Combattre intelligem­ment dans le contexte actuel, c’est passer à une posture défensive », écrivait il y a une semaine l’ancien colonel français Michel Goya. Pour les Ukrainiens, « il faut défendre en profondeur, en acceptant de perdre du terrain à l’avant pour sauvegarde­r ses forces, tout en faisant payer cher en hommes et en temps chaque kilomètre carré gagné par les Russes ».

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(Photo AFP)
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