Les mots de la politique
Le taux d’abstention aux législatives a une nouvelle fois battu des records. Rien n’a permis d’enrayer la perte de confiance des citoyens pour la politique. Pourtant, certains partis n’ont pas lésiné sur l’emphase sémantique pour attirer des électeurs déboussolés, en usant et abusant du point d’exclamation. « Reconquête ! » et « Ensemble ! » avaient-ils vraiment besoin d’un tel appendice pour frapper les esprits ? Éric Zemmour, qui brandissait son point d’exclamation comme Charles Martel son épée à Poitiers, n’aura-t-il, au final, qu’un destin de parenthèses ? Après le revers du second tour, un point d’interrogation aurait été plus approprié pour « Ensemble ! ». Le nom de l’alliance des composantes de la macronie sonnait même comme une provocation pour ceux qui n’ont vu que fractures lors du premier quinquennat : « gilets jaunes », non-vaccinés qu’on « emmerde », « Amish » technologiques… La conférence de presse bâclée d’Emmanuel Macron sur un tarmac, à l’issue d’une double noncampagne, n’a rien arrangé. Dans une société du jetable, les « marcheurs » de LREM n’auront tenu la route qu’un peu plus de six ans. Il fallait faire du neuf avec du vieux à l’orée d’un second quinquennat. Place donc à « Renaissance ». Pour
« toujours faire le choix des Lumières contre l’obscurantisme », avait indiqué, sans rire, le délégué général Stanislas Guerini.
Les représentants autoproclamés des Lumières ont-ils été philosophes dimanche soir ?
Les changements de nom ne datent pas d’aujourd’hui.
RPF, UNR, UDR, RPR : la droite gaulliste a longtemps jonglé avec les acronymes. En 1976, le quadra Jacques Chirac impose sa marque. Ce sera le RPR jusqu’en 2002 et l’union de la droite au sein de l’UMP. Vingt-six ans de stabilité sémantique, mais pas idéologique. Qui se souvient que, lors de la création du RPR, Chirac rêvait d’un « travaillisme à la française » avant de se convertir rapidement au néolibéralisme et à l’Europe ? En 2018, le Front national s’est mué en Rassemblement national. Un changement lexical entérinant les évolutions impulsées par Marine Le Pen : la « dédiabolisation » du parti, le « meurtre » symbolique du père et le virage économique à gauche. La stratégie a porté ses fruits au vu du nombre de députés qui font leur entrée au Palais-Bourbon. Le RN n’est-il que le faux nez d’un Front qui, au fond, n’a jamais disparu ? Ou un parti comme les autres : au sein d’une macronie aux abois, certains, à l’instar d’Eric Dupond-Moretti, se disent prêts à discuter avec lui à l’Assemblée. Il y a quelques semaines à peine, les mêmes en faisaient pourtant un repoussoir. Après la manoeuvre électorale, le sauve-qui-peut à tout prix. En 2017, un an et quelques circonstances favorables avaient suffi à un nouveau mouvement, « En marche ! », et à son chef Emmanuel Macron pour conquérir le pouvoir. Cinq ans plus tard, c’est en quelques semaines à peine que Jean-Luc Mélenchon a ressuscité, à la hussarde, l’union de la gauche avec la Nupes. Les hésitations, lorsqu’il s’agit de prononcer cet acronyme, n’ont pas empêché nombre d’électeurs de se prononcer en sa faveur. Reste à savoir si la tentation centrifuge de ses composantes ne sera pas la plus forte. Nupes n’aurait alors été qu’un jeu de dupes.
« Éric Zemmour brandissait son point d’exclamation comme Charles Martel son épée à Poitiers. »