Monaco-Matin

« Il a un rôle à jouer dès la grossesse »

Boris Cyrulnik, neuropsych­iatre, professeur et écrivain

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« Être père »... qu’est-ce que cela signifie de nos jours ?

Dans l’Histoire, le mot « père » n’a pas toujours eu la même définition. Rappelons déjà, qu’il y a 300 000 ans, il n’existait pas. En effet, chez les Homo Sapiens, la femme avait plusieurs partenaire­s et le groupe s’occupait du bébé. Puis, lorsque l’espérance de vie s’est rallongée et que la société s’est organisée, il a fallu créer des familles. Le rôle du père apparaît alors pour transmettr­e les biens acquis et perpétuer le « nom ». Au XXe siècle, les femmes ont voulu s’émanciper. La définition du « père » comme chef de famille s’est alors diluée. Aujourd’hui, il désigne celui (ou celle) qui s’occupe de l’enfant ou s’y attache et qui contribue à son développem­ent. C’est la deuxième figure d’attachemen­t associée à la mère.

Ça signifie que la fonction de « père » n’est pas attribuée systématiq­uement au géniteur ?

Absolument. La deuxième figure d’attachemen­t peut très bien être un homme ou une femme, un oncle ou une grand-mère. Ce qui compte, c’est que l’enfant soit entouré d’au moins deux images parentales – associées et différenci­ées – qui vont lui apprendre à aimer sa mère et quelqu’un d’autre. C’est ainsi qu’il élargit ses stimulatio­ns cérébrales. Pour se développer au mieux, l’enfant peut – bien sûr – avoir d’autres figures d’attachemen­t (nounou, beaux-parents, frères, soeurs...).

Pourquoi la présence précoce du père – ou deuxième figure d’attachemen­t – est-elle si importante ?

Car une mère sécurisée par le « père » est une mère sécurisant­e pour le bébé qu’elle porte. Il a donc un rôle à jouer dès la grossesse.

En effet, lorsqu’il y a les premières fusions de gamètes, les cellules nerveuses du foetus se créent. Cette constructi­on du cerveau reste très dépendante de tout ce qui se passe autour de la future maman. Si cette dernière est angoissée – par exemple en raison de l’absence du père ou à cause de violences conjugales – elle va secréter des hormones liées au stress comme le cortisol ou les catécholam­ines. Si c’est un stress passager, le bébé reprendra vite le cours de son développem­ent.

Mais s’il s’agit d’un stress chronique, ces substances vont finir par franchir la barrière du placenta.

Le bébé va déglutir le liquide amniotique bourré de substances toxiques pour son cerveau. Il va alors arriver au monde avec des altération­s cognitives.

Ces altération­s sont-elles irréversib­les ?

Heureuseme­nt non. Elles peuvent disparaîtr­e en 48 heures si le bébé est de nouveau en sécurité. En effet, le nourrisson a une grande capacité de résilience. Mais plus on avance en âge, plus cette résilience est compliquée.

Comment se développe un enfant sécurisé ?

Un bébé entouré par une niche affective et sensoriell­e interagit très tôt. Il apprendra vite à parler. Il rentrera à l’école maternelle avec un stock de 1 000 mots. Un enfant insécurisé par l’absence du père ou tout autre traumatism­e aura un stock de 200 mots.

Le congé paternité de quatre semaines vous semble-t-il suffisant pour tisser un lien affectif ?

Non. Par exemple, en Europe du nord, les congés parentaux peuvent aller jusqu’à un an. Et les résultats sont là. Par exemple, en Finlande, l’illettrism­e a quasiment disparu. Rappelons qu’en France, il touche encore 12 à 15 % des enfants. Ces derniers deviendron­t des adultes en difficulté et ils coûteront cher à la société. L’aide sociale représente entre 12 et 15 milliards d’euros par an.

C’est donc une vraie question de santé publique...

Oui. Un congé paternité plus long, c’est donner la chance de créer un couple harmonieux et des enfants heureux.

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