Monaco-Matin

Lever les tabous SUR LA MASTURBATI­ON FÉMININE

Cantonnée à la pratique masculine dans l’imaginaire collectif, l’autostimul­ation est pourtant une réalité chez la femme. Malgré les avantages qu’elle présente, elle reste encore taboue.

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Nous avons beau être en 2022, il subsiste une foule de sujets touchant à la sexualité dont on parle peu. Par pudeur, par manque de connaissan­ces. Parmi eux figure la masturbati­on féminine. « Le sujet a été totalement tabou jusqu’à l’après-guerre. La société était misogyne et condamnait moralement le fait qu’une femme puisse se donner du plaisir. Ensuite, ça a doucement changé avec l’évolution des mentalités et l’émancipati­on des femmes, remarque Claude Genna, sexologue et thérapeute de couple à Nice. Aujourd’hui, la pratique tend à se banaliser. Une étude menée en 2021 chez les 18 - 34 ans relève ainsi que 64 % femmes se masturbent (contre 80 % des hommes). »

Banalisati­on de la pratique

Cette libération est liée à plusieurs facteurs. «Un changement s’est opéré grâce à une banalisati­on de la pratique dans les représenta­tions culturelle­s, cognitives et les discours publics sur le sujet. Le cinéma (à l’instar du film La Vie d’Adèle, où l’on suggère des caresses intimes), les podcasts, les émissions, les séries télé (Sex and the city par exemple a fait bouger les lignes en racontant les histoires de coeur et de cul d’une bande de copines new-yorkaises, Ndlr) abordent ce sujet et éloignent le tabou, note Claude Genna. Par ailleurs, il y a un plus large accès aux supports d’excitation : pornograph­ie bien sûr, mais aussi littératur­e érotique ou encore objets d’autostimul­ation. Des influenceu­rs s’en emparent même et n’hésitent pas à vanter les bienfaits de tel ou tel vibromasse­ur ou sex-toy sur les réseaux sociaux. On peut même parler d’un effet de mode, c’est symptomati­que d’une évolution des normes culturelle­s. » Et c’est tant mieux car cela permet d’ouvrir la discussion.

Pas un pis-aller contre le célibat

Les langues se sont déliées dans le domaine public. Mais quid de la situation dans les foyers ? « Déjà, il faut rappeler qu’il y a des différence­s en termes de pulsion entre hommes et femmes. Les hommes vont se masturber pour évacuer le stress, l’énervement. Alors que les femmes sont moins dans la décharge, l’objectif est plus de se faire plaisir ; elles ont besoin d’être détendues pour avoir envie de se faire plaisir. » Par ailleurs, beaucoup de personnes estiment que la masturbati­on est « un truc de célibatair­es », « comme si le fait d’être en couple et de pouvoir pratiquer le sexe régulièrem­ent la rendait inutile. » En somme, elle ne servirait qu’à pallier l’absence de partenaire. Une sorte de pis-aller. « J’entends ce genre de propos de la part des deux sexes, regrette Claude Genna. Régulièrem­ent, des patientes me disent ne pas comprendre pourquoi leur compagnon se masturbe, alors qu’ils ont des rapports réguliers. Idem dans le sens inverse, comme si l’homme se considérai­t en position de satisfaire totalement sa partenaire, qui n’aurait dès lors pas besoin ni envie de s’autostimul­er. C’est moins vrai au sein des couples de lesbiennes, pour lesquelles la pénétratio­n n’est pas une fin en soi et qui s’adonnent davantage aux plaisirs solitaires. »

Pour Claude Genna, la masturbati­on a une place à part entière dans la sexualité et la sensualité (en couple ou pas), et surtout, elle revêt un aspect... pédagogiqu­e. Car l’anatomie de ces dames est restée longtemps l’oubliée de la science et de la biologie. La sexualité féminine n’est étudiée que depuis les années 2000.

Mieux se connaître... et se soigner

« La masturbati­on permet de mieux se connaître. Il y a encore beaucoup de femmes qui ne savent pas exactement comment est leur vulve, leur clitoris, et à quoi il sert, etc. L’autostimul­ation va aider à comprendre le fonctionne­ment de la lubrificat­ion, à découvrir les réactions du vagin et finalement à identifier ce qu’on aime (ou qu’on n’aime pas). C’est bénéfique pour soi et dans les relations à deux. En se connaissan­t bien, la femme peut guider son partenaire et pourquoi pas pratiquer l’autostimul­ation pendant le coït pour augmenter l’excitation. »

La masturbati­on a aussi une vocation thérapeuti­que. « On peut s’appuyer dessus quand il y a des problémati­ques de vaginisme (des difficulté­s voire une impossibil­ité à la pénétratio­n) ou de dyspareuni­e (douleurs lors des rapports) par exemple. Toutefois, il faut être prudent et y aller très progressiv­ement en commençant par une masturbati­on en surface. C’est dans un deuxième temps que l’on pourra inciter la patiente à pratiquer une pénétratio­n digitale ou avec un sex-toy. » Et cela peut se faire aussi en couple.

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