Dossier du chlordécone : des « négligences fautives » de l’État
La reconnaissance par le tribunal administratif de Paris de « négligences fautives » dans le dossier du chlordécone représente une avancée décisive pour les victimes.
La reconnaissance par le tribunal administratif de Paris de « négligences fautives » de l’État dans le dossier du chlordécone – utilisé comme pesticide dans les Antilles – représente une avancée décisive pour les personnes touchées par la pollution, même si les demandes d’indemnisation des plaignants pour préjudice d’anxiété ont été rejetées.
« Les services de l’Etat ont commis des négligences fautives en permettant la vente d’une même spécialité antiparasitaire contenant 5 % de chlordécone », sous divers noms, et « en autorisant la poursuite des ventes au-delà des délais légalement prévus en cas de retrait de l’homologation », selon cette décision rendue vendredi. Le chlordécone, un pesticide interdit en France en 1990 mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu’en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.
Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Préjudice d’anxiété
Cependant, le tribunal administratif a estimé qu’« à l’exception de leur présence en Martinique ou en Guadeloupe pendant au moins douze mois depuis 1973, les requérants ne font état d’aucun élément personnel et circonstancié permettant de justifier le préjudice d’anxiété dont ils se prévalent ».
En conséquence, « les conclusions indemnitaires présentées par les requérants doivent être rejetées », indique le jugement.
De plus, selon le tribunal administratif, « les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’Etat aurait tardé dans la mise en place de mesures de protection des populations ou que les informations diffusées auraient été contradictoires », ajoute le tribunal administratif.
« Pour le moment, ce que ce tribunal dit ne nous convient pas, puisqu’il parle de nécessité de prouver que chaque personne a subi un préjudice moral, ça ne tient pas la route. (...) La Martinique et la Guadeloupe n’accepteront pas l’impunité dans ce dossier », a indiqué Philippe Pierre-Carles, porte-parole de l’association Martiniquaise Lyannaj pou dépolyé Matinik, partie civile dans l’action collective.
« Avancée décisive »
Pour Me Christophe Lèguevaques, qui compte faire appel au nom des 1 240 requérants qu’il représente pour obtenir la reconnaissance du préjudice d’anxiété, cette décision est cependant une « avancée décisive ».
« Cela peut servir dans le dossier pénal du chlordécone. Alors que jusqu’à présent, on avait en face de nous des industriels ou des distributeurs de ce produit qui disaient : ‘‘je n’ai fait que distribuer un produit autorisé, donc vous ne pouvez rien contre moi’’, là, on a un tribunal qui nous dit que les autorisations des années 70 étaient illégales et donc sont susceptibles d’entraîner la responsabilité de l’État, mais aussi peuvent remettre en cause la responsabilité des distributeurs », explique l’avocat.