« Il n’y a pas un jour où je n’y pense pas »
« J’étais à 30 centimètres de lui. Son arme est passée à quelques millimètres de ma tête. J’ai tiré. » Nicolas(1), 50 ans, est policier dans les Alpes-Maritimes. Il y a quelques années, dans le département, il a dégainé et fait feu. L’agresseur – qui venait de tenter de le tuer – est mort peu après. « Au moment où il nous attaque, il y avait des civils, des collègues, j’ai tiré. Je me souviens du moment où je fais feu. Le reste c’est le black-out. »
« Pas le temps de se poser de questions »
Tout juste se souvient-il que, dans les minutes et les heures suivantes, ses collègues ont afflué, la hiérarchie, l’IGPN, le substitut de permanence. « J’étais là sans y être, sidéré, dans un autre monde. L’homme était là, devant moi, à terre. Je me suis demandé ce qui m’arrivait et ce qui allait m’arriver. » Nicolas, qui avait effectué son service militaire dans la gendarmerie, n’avait pas d’appréhension sur le maniement de l’arme. Il a servi ensuite dans des unités d’intervention de la police. « L’arme, c’était naturel, on s’entraînait régulièrement. » Avait-il pensé au jour éventuel où il pourrait avoir à appuyer sur la détente ? « Évidemment. Mais une fois que vous y êtes, avec le stress, l’action, le danger immédiat, vous n’avez pas le temps de vous poser de questions. »
« Je ne vivais plus qu’au jour le jour »
Il se souvient de l’enquête, des interrogatoires chez le juge d’instruction. « Auraisje pu faire autrement ? » La question l’a hanté mais la réponse est claire dans sa tête : non. Défendu par Me Catherine Cottray-Lanfranchi, du barreau de Nice, il a récemment obtenu un non-lieu. La légitime défense a été officiellement reconnue.
Ces années ont semblé durer une éternité.
« Je ne vivais plus qu’au jour le jour. Je me posais mille questions, je me demandais ce qui m’attendait. »
Nicolas dit avoir été soutenu par sa hiérarchie directe, moins par la « haute ». Son couple a volé en éclats. « Au début, quand vous reprenez le travail, vous n’êtes pas dans votre assiette, à vous demander ce qui va se passer si ça se reproduit. Aujourd’hui je suis au clair avec ça. Je calculerai plus, je me mettrai peut-être moins en danger aussi. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à ce qui s’est passé. »
Le jour où Me Cottray-Lanfranchi l’a appelé pour lui dire qu’il avait agi dans le respect de la doctrine, que la justice reconnaissait son professionnalisme dans une situation où, civils et policiers, étaient menacés, il dit avoir ressenti un énorme soulagement.
« Je ne suis plus le même homme »
« Pour autant, je ne suis plus le même homme. Quand je regarde derrière, je mesure tout ce qui a changé dans ma vie », confie-t-il d’une voix un peu triste.
Le regard de l’opinion publique ? « Quand j’étais jeune, j’y faisais attention. Mais vous savez, tant que vous n’avez pas vécu cette situation, vous ne pouvez pas savoir. Les gens portent des jugements, mais à chaque fois j’ai envie de leur dire “Vivez ce qu’on a vécu et vous pourrez parler”. »
1. Les circonstances, son prénom, ont été anonymisées, à sa demande.