Monaco-Matin

« Il n’y a pas un jour où je n’y pense pas »

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

« J’étais à 30 centimètre­s de lui. Son arme est passée à quelques millimètre­s de ma tête. J’ai tiré. » Nicolas(1), 50 ans, est policier dans les Alpes-Maritimes. Il y a quelques années, dans le départemen­t, il a dégainé et fait feu. L’agresseur – qui venait de tenter de le tuer – est mort peu après. « Au moment où il nous attaque, il y avait des civils, des collègues, j’ai tiré. Je me souviens du moment où je fais feu. Le reste c’est le black-out. »

« Pas le temps de se poser de questions »

Tout juste se souvient-il que, dans les minutes et les heures suivantes, ses collègues ont afflué, la hiérarchie, l’IGPN, le substitut de permanence. « J’étais là sans y être, sidéré, dans un autre monde. L’homme était là, devant moi, à terre. Je me suis demandé ce qui m’arrivait et ce qui allait m’arriver. » Nicolas, qui avait effectué son service militaire dans la gendarmeri­e, n’avait pas d’appréhensi­on sur le maniement de l’arme. Il a servi ensuite dans des unités d’interventi­on de la police. « L’arme, c’était naturel, on s’entraînait régulièrem­ent. » Avait-il pensé au jour éventuel où il pourrait avoir à appuyer sur la détente ? « Évidemment. Mais une fois que vous y êtes, avec le stress, l’action, le danger immédiat, vous n’avez pas le temps de vous poser de questions. »

« Je ne vivais plus qu’au jour le jour »

Il se souvient de l’enquête, des interrogat­oires chez le juge d’instructio­n. « Auraisje pu faire autrement ? » La question l’a hanté mais la réponse est claire dans sa tête : non. Défendu par Me Catherine Cottray-Lanfranchi, du barreau de Nice, il a récemment obtenu un non-lieu. La légitime défense a été officielle­ment reconnue.

Ces années ont semblé durer une éternité.

« Je ne vivais plus qu’au jour le jour. Je me posais mille questions, je me demandais ce qui m’attendait. »

Nicolas dit avoir été soutenu par sa hiérarchie directe, moins par la « haute ». Son couple a volé en éclats. « Au début, quand vous reprenez le travail, vous n’êtes pas dans votre assiette, à vous demander ce qui va se passer si ça se reproduit. Aujourd’hui je suis au clair avec ça. Je calculerai plus, je me mettrai peut-être moins en danger aussi. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à ce qui s’est passé. »

Le jour où Me Cottray-Lanfranchi l’a appelé pour lui dire qu’il avait agi dans le respect de la doctrine, que la justice reconnaiss­ait son profession­nalisme dans une situation où, civils et policiers, étaient menacés, il dit avoir ressenti un énorme soulagemen­t.

« Je ne suis plus le même homme »

« Pour autant, je ne suis plus le même homme. Quand je regarde derrière, je mesure tout ce qui a changé dans ma vie », confie-t-il d’une voix un peu triste.

Le regard de l’opinion publique ? « Quand j’étais jeune, j’y faisais attention. Mais vous savez, tant que vous n’avez pas vécu cette situation, vous ne pouvez pas savoir. Les gens portent des jugements, mais à chaque fois j’ai envie de leur dire “Vivez ce qu’on a vécu et vous pourrez parler”. »

1. Les circonstan­ces, son prénom, ont été anonymisée­s, à sa demande.

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