Monaco-Matin

Dérèglemen­t climatique : pourquoi est-ce si compliqué de s’adapter ?

- Ax. T.

Le docteur Martin Jaubert est psychiatre à Nice. Il a donné, en 2019, une conférence sur le thème du déni climatique dans le cadre de la semaine du cerveau. Trois ans et un été suffocant plus tard, il constate que la situation a progressé mais en partie seulement. « Aujourd’hui, la population sait qu’il y a un problème de dérèglemen­t climatique. Il n’y a plus personne pour le nier en bloc. On a assisté à une prise de conscience globale. Les patients ne parlent pas d’angoisse directemen­t liée au réchauffem­ent climatique, en revanche, cela apparaît souvent dans leurs préoccupat­ions. »

Pour autant, les réactions ne sont pas à la mesure de l’ampleur de la catastroph­e annoncée. Pourquoi ?

Il y a trop à faire, les autres feront

Il y a des raisons psychologi­ques : « D’abord, les révélation­s telles que celles issues des rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouve­rnemental sur l’évolution du climat) sont tellement énormes que les gens ont du mal à se les approprier. Finalement, l’été que l’on a vécu a obligé toute la France à faire l’expérience douloureus­e de la canicule et de ce qui nous attend. Le monde n’a pas changé mais il devient plus compliqué d’y vivre. La responsabi­lité est donc collective et c’est collective­ment qu’il faut agir. » Et si certains,

« peuvent se dire qu’ils laissent les autres le faire, ça ne fonctionne­ra pas comme ça, alerte-t-il. Chaque geste compte, il y a une idée d’exemplarit­é derrière. »

Pas d’autre choix

Autre aspect évoqué par le psychiatre : l’impossibil­ité d’agir. « Les personnes n’ont pas toujours le choix de changer leur mode de vie, cela reste encore un luxe réservé à certains, soulève-t-il. Une famille modeste qui habite en campagne n’a d’autre choix que de prendre la voiture pour aller travailler, déposer les enfants à l’école. En revanche, lorsque l’on donne des moyens de faire les choses facilement, si par exemple on leur propose des transports en commun, alors ils agissent. »

Trop à perdre à changer

Il appuie : « Le problème ne se situe pas réellement du côté des foyers les moins aisés : ils n’ont pas une énorme empreinte carbone, ne prennent pas l’avion tous les trois mois, ne consomment pas à outrance. Ce sont les gens qui ont le plus à perdre qui auront le moins envie de changer. Ils vont, au mieux, ajuster leur modèle ou se donner bonne conscience en payant. C’est le green washing. Une minorité a un impact disproport­ionné. » Pour Martin Jaubert, il y a aussi une question d’image : «Ilyauncôté statutaire, des signes extérieurs de richesse : on pense que l’on réussit si on part en vacances au bout du monde. Il faut se rendre compte que les preuves de réussite matérielle de ce genre ne sont plus valables. Il faut changer d’optique. »

« Nous avons à peine quelques années »

Le psychiatre est lucide :

« L’énorme souci, c’est qu’il faut impulser des changement­s de très grande ampleur car nous n’avons plus le temps. Or, on n’a pas le temps de nous adapter. En temps normal, de telles modificati­ons culturelle­s prendraien­t une à deux génération. Nous avons à peine quelques années. »

Newspapers in French

Newspapers from Monaco