Ulysse et les sirènes DE PABLO PICASSO
Réalisé en 1947 pour l’inauguration de la Salle Picasso au sein du musée consacrée au génie espagnol à Antibes, ce tableau y est toujours visible.
Au coeur des remparts d’Antibes se dresse, robuste avec sa tour carrée, le château des Grimaldi. Occupé au XIVe siècle par une branche génoise de la famille monégasque, il a été acquis au XVIIe par le roi de France Henri IV. En 1925, délabré, il a été racheté par la Ville d’Antibes sous l’impulsion de l’esthète et amateur d’art Romuald Dor de la Souchère. Ce dernier ouvrit là le Musée Grimaldi. En 1946, il proposa à Pablo Picasso d’y installer un atelier. Âgé de 65 ans, fréquentant la Côte d’Azur depuis une vingtaine d’années, le peintre accepte.
Une salle Picasso
L’année suivante, une salle est inaugurée à son nom. En 1966, le Château Grimaldi devient Musée Picasso et Romuald Dor de la Souchère est son premier conservateur.
Pour l’inauguration de la Salle Picasso, en 1947, le peintre réalisa une oeuvre inédite. C’est notre tableau du jour, présenté au public au mois de septembre de cette année-là : Ulysse et les sirènes.
Avec une énergie qui transparaît dans sa peinture, Picasso réalise l’oeuvre en deux jours sur trois plaques de fibrociment accolées, posées au sol, sur une surface totale de neuf mètres carrés. Picasso utilise de la peinture à l’huile industrielle (Ripolin) sans dessin préalable.
Au loin, les monts du Mercantour
Dans ce tableau réalisé à Antibes, les Alpes-Maritimes apparaissent dans ce qui les caractérise : la présence simultanée de la mer et de la montagne. En arrière-plan, sont dessinés les contours du Mercantour. Le tableau représente l’épisode de L’Odyssée où Ulysse résiste avec ses compagnons au chant des sirènes. On connaît l’histoire : les sirènes cherchent à charmer les navigateurs et les attirer sur des rivages où ils font naufrage et périssent. Sur les conseils de la magicienne Circé, Ulysse se fait attacher au mât de son navire par ses compagnons, lesquels se bouchent les oreilles avec de la cire. Ulysse ayant résisté à leurs chants, les sirènes disparaissent dans les profondeurs de la mer. Picasso a restitué cette scène sur les rivages d’Antibes.
Expression tragique
Jean-Louis Andral, conservateur du Musée Picasso, commente l’oeuvre : « Au centre, le visage circulaire d’Ulysse, tourné vers nous, apeuré par le chant des sirènes. Son visage a une expression tragique, les yeux sont écarquillés, la bouche a la forme étrange d’un oursin, les oreilles sont démesurées. Le bateau maintient la verticalité de l’oeuvre. Sa forme est celle d’un poisson, doté de rames-nageoires. »
Les sirènes qui entourent le bateau et glissent sous la coque, sont mi-femmes mi-poissons, voire mi-oiseau pour celle du haut à gauche. Elles ont des nageoires et des griffes. Autour d’elles, le bleu plus sombre symbolise les profondeurs marines où elles veulent entraîner les navigateurs. Picasso figure l’agitation des flots par la diversité des bleus et verts.
Cette oeuvre est présentée au Musée Picasso dans une salle d’où l’on peut apercevoir à l’horizon, par une fenêtre, les contreforts du Mercantour.
Sur le tableau, des visages apparaissent dans les montagnes, qui sont sans doute ceux des compagnons d’Ulysse. Mais si, de nos jours, vous apercevez des visages sur les contours du Mercantour, il y a peu de chance pour qu’Ulysse y soit pour quelque chose…