« Je n’avais jamais monté un opéra de Berlioz de ma vie »
Avec La Damnation de Faust programmée pour la Fête nationale, Jean-Louis Grinda signe son ultime mise en scène en qualité de directeur de l’Opéra de Monte-Carlo.
Ce sera sa toute dernière mise en scène pour l’Opéra de Monte-Carlo en qualité de directeur ! Jean-Louis Grinda, qui s’apprête à passer le flambeau à Cécilia Bartoli, entame les répétitions de La Damnation de Faust d’Hector Berlioz et sous la baguette de Kazuki Yamada. L’oeuvre qui n’a pas été donnée à Monaco depuis plus d’un demisiècle sera programmée les 13, 16 et 19 novembre prochains dans la Salle des Princes du Grimaldi Forum.
La Damnation de Faust, c’est une grosse production !
C’est un très grand spectacle qui rassemble 300 costumes, 80 choristes, 8 danseuses, 10 figurants, 35 enfants de la Maîtrise de l’Académie. Je suis très content de travailler avec le directeur de l’Orchestre Philharmonique de MonteCarlo, Kazuki Yamada. Je m’entends très bien avec lui ; il fait un travail épatant. Je crois que j’ai trouvé le Faust en la personne de Pene Pati. C’est un rôle très difficile parce qu’il faut une voix importante, un phrasé français parfait, une musicalité élégante... C’est un tout jeune garçon de Nouvelle Zélande que j’ai connu à San Francisco. Il a un physique herculéen et il chante avec un goût, un raffinement et une intelligence hors catégorie.
N’est-ce pas une oeuvre que l’on pourrait qualifier de « difficile » ?
C’est une oeuvre bizarre : Berlioz ne l’a pas pensée comme un opéra mais comme une cantate avec huit scènes de Faust. Il n’y a pas un lien naturel avec une narration mais une articulation parfois un peu ténue.
Pourquoi avoir choisi Faust comme votre ultime oeuvre en qualité de directeur de l’Opéra de Monte-Carlo ?
Je n’avais jamais monté un opéra de Berlioz de ma vie. Ça peut paraître invraisemblable, mais c’est ainsi. Je suis heureux de reprendre l’oeuvre dont la première mondiale de la version scénique à l’Opéra de Monte-Carlo a été créée en 1893 par Raoul Gunsbourg, directeur de l’Opéra nommé par le Prince Albert Ier et qui a fait avec cette oeuvre son premier coup d’éclat. Cette mise en scène me permet d’apporter ma participation aux cérémonies de commémoration du centenaire de la mort d’Albert Ier et de rendre hommage à celui qui est resté près de soixante ans à la tête de l’art lyrique à Monte-Carlo.
Avez-vous un intérêt particulier pour cette oeuvre ?
C’est un opéra français, une musique très sophistiquée dans l’écriture orchestrale et vocale. Ça rend l’oeuvre très intéressante. J’ai déjà fait tout un travail sur Faust et Goethe en montant Méphistophélès d’Arrigo Boito. Ce que représente Faust m’intéresse beaucoup : c’est un spéculateur qui cherche et ne trouve pas. Il veut toujours autre chose, toujours plus. En ce sens, il correspond bien à notre époque.
Cette oeuvre correspond-elle à un moment singulier de votre carrière, de votre vie ?
Je ne l’ai pas fait volontairement mais il n’y a pas de hasard. Le dernier opéra que j’ai monté à Liège, en Belgique, fut Méphistophélès dans lequel jouait mon fils Jean-Baptiste, alors âgé de 7 ans, et le dernier opéra ici en tant que directeur est La Damnation de Faust avec ma fille Mathilde, qui a 8 ans. Il y a forcément quelque chose de l’ordre de la transmission. Je me demande si Méphisto, ce n’est pas Raoul Gunsbourg… Je ne sais pas.
Pourquoi une exposition sur Raoul Gunsbourg en plus ?
Je m’étais promis qu’avant de partir je rendrais hommage à Raoul Gunsbourg. Je suis un témoin indirect par mon père, qui a travaillé avec lui de 1947 à 1952. J’ai entendu mille histoires sur sa façon de travailler, ses foucades, ses blagues... Le souverain et la princesse Caroline ont été favorables à cette idée d’exposition. Plutôt qu’un catalogue d’exposition, nous allons sortir, pour la Fête nationale, un opuscule d’Avant Scène Opéra sur l’histoire de l’Opéra de Monte-Carlo avec photos, analyses, interviews dont un grand entretien avec Cécilia Bartoli pour préparer l’avenir…
Vous passez le flambeau avec beaucoup de sérénité ; on peut même dire d’élégance. N’est-ce pas tout de même difficile ?
Partout où je suis passé, j’ai toujours dit que je ne resterai pas au-delà d’une certaine date. Ce qui étonne tout le monde est que je tiens parole. Sauf mon épouse qui me connaît depuis plus de vingt ans, même mes intimes ne me croyaient pas. Au bout de quinze ans, j’estime que l’on m’a assez vu. Personne ne m’a dit de partir. Et c’est parce que personne ne me l’a demandé que je crois que c’est bien de le faire en passant le flambeau à quelqu’un de meilleur que moi. Je pense qu’ainsi je fais avancer l’institution en termes artistique et sociétal, puisque ce sera la première femme directrice de l’Opéra de Monte-Carlo. Qu’on le veuille ou non, c’est un pas en avant ; et j’en suis très content.
Si vous quittez Monaco, ce n’est toutefois pas pour prendre votre retraite…
J’ai de la chance. J’ai une vie heureuse et du travail : Les Chorégies d’Orange en France, des mises en scène programmées jusqu’en 2027. Je ne vais pas me plaindre.
Quels seront vos prochains engagements ?
Je vais créer la comédie musicale Al Capone avec Roberto Alagna, Anggun et Bruno Pelletier, qui sera jouée du 28 janvier au 12 mai 2023. Je répète dès le mois de décembre à Paris.
Les Folies Bergère après l’Opéra de Monte-Carlo, ça change !
C’est le producteur Jean-Marc Dumontet qui m’a proposé cette mise en scène après avoir vu celle de Samson à Orange l’été dernier dans laquelle chantait Roberto Alagna. Je retourne à mes premières amours.
Et après Al Capone ?
Je ferai des reprises et des créations en Belgique, en Israël, à Hong Kong, Sydney… J’ai la chance que mes spectacles soient coproduits ou repris, ce qui permet de remettre en scène des spectacles, de faire progresser les oeuvres et aussi de les adapter aux artistes.
‘‘ Personne ne m’a demandé de partir ”