Le chasseur en ligne de mire
En ce temps-là, le chasseur partait le dimanche à l’heure du laitier, la fleur au fusil et le chien au garde-à-vous. Sa femme, bonne pâte, lui avait préparé un casse-croûte roboratif qu’il avait glissé dans sa gibecière, un sandwich au saucisson pour reprendre des forces en milieu de matinée, quelques saucisses pour le déjeuner qu’il ferait cuire sur un feu de bois improvisé. Le chasseur avait un faible pour la charcuterie, peut-être parce qu’il traquait souvent le cochon sauvage. Il glissait également dans le coffre de son break une bouteille de rouge qu’il partagerait au déjeuner avec ses compagnons, à l’issue d’une longue matinée à courir par monts et par vaux après le faisan, le sanglier, le lièvre ou le chamois. A l’aube, il avait allumé son autoradio. Radio Monte-Carlo diffusait le succès du moment, Le Chasseur de Michel Delpech.
Sa femme avait même acheté le 45 tours de cette ballade bucolique. Il goûtait peu ce tube qui mettait en scène un chasseur qui se sentait «unpeu coupable » et prenait la tangente plutôt que de continuer à tirer. À l’époque, le chasseur était droit dans ses bottes et maître sur son territoire. Face à sa toute-puissance, ses détracteurs n’atteignaient pas leur cible.
Il faisait partie depuis toujours du paysage. L’homme chassait d’abord les animaux pour se nourrir, puis pour son plaisir (l’homme, au sens strict, parce que la femme n’était que rarement conviée). Dans les années 70, même le président de la République s’adonnait à ce loisir. En Afrique, Giscard d’Estaing traquait l’éléphant sans que personne ou presque n’y trouve à redire. A l’heure du bilan, les diamants de Bokassa ont pesé plus lourd que l’ivoire des pachydermes. En ce temps-là, le chasseur portait veste et pantalon de camouflage. Aujourd’hui, il est passé à l’orange (une couleur que la plupart de ses proies ne distinguent pas). On le croirait tout droit sorti d’un fourgon d’une société autoroutière portant assistance à un naufragé de la route. Car il a appris à se méfier de ses camarades de jeu. Le nombre d’accidents de chasse a pourtant diminué ces dernières années, mais aujourd’hui, l’erreur de tir ne passe plus inaperçue. Les temps ont changé.
Les amis des animaux et utilisateurs de la forêt lui volent dans les plumes. La voix des randonneurs, cueilleurs de champignons, vététistes et autres propriétaires de terrains, inquiets pour leur sécurité, porte plus auprès des autorités restées longtemps sourdes par peur de déplaire au « parti des chasseurs ». C’est lui qui est désormais en ligne de mire. Il répond maintien des traditions et de la ruralité, protection des cultures (avec la régulation du sanglier, notamment). Il s’est autodésigné dans une publicité « premier écologiste de France », s’est offert un lobbyiste de renom, et le président national s’est même résolu à miser sur le bon cheval en appelant à voter Macron. Il sait qu’il faut lâcher un peu – le contrôle d’alcoolémie – pour ne pas perdre gros et se voir interdit de tirer le dimanche. Aujourd’hui, le chasseur veut sauver sa peau.
« Les temps ont changé. Les amis des animaux et utilisateurs de la forêt lui volent dans les plumes. »