Une force de la nature
A quitté Montpellier où il s’entraînait depuis sept ans. Le colosse originaire de Haute-Savoie, 23 ans, vient de prendre sa licence à Nice. Il rêve des Jeux de Paris-2024.
Un homme tourné vers l’avenir. À 23 ans, Makenson Gletty ne berce pas dans la nostalgie et les souvenirs. Le décathlonien a la vie devant lui et des rêves plein la tête. Né en Haïti, adopté à l’âge de 7 ans, le p’tit nouveau du Nice Côte d’Azur Athlétisme (NCAA) n’est pas fâché avec son histoire. Mais il n’aime pas s’appesantir dessus. Il craint l’incompréhension et les raccourcis. « Je me suis déjà ouvert et la vérité a été déformée sur le papier. On m’a fait passer pour un enfant très très malheureux alors que ce n’était pas le cas. Je préfère donc me limiter à mon parcours sportif », confesse le néo-Azuréen avec pudeur.
Pékin 2008, le déclic
L’athlétisme, il est tombé dedans tout petit, dès ses premiers pas dans l’Hexagone. « Mes parents étaient juges », resitue-t-il. Arrivé en HauteSavoie, à Viuz-en-Sallah, petite ville située à quinze minutes d’Annemasse, il s’éveille à la piste dans le club d’Ambilly. En parallèle, il s’essaie au judo mais son coeur penche rapidement pour les pointes. « Mon frère et ma soeur faisaient aussi de l’athlé donc j’ai suivi, se souvient-il. J’ai été très vite focalisé sur ce sport et j’ai lâché le judo. J’aimais bien gagner. » Les Jeux Olympiques de Pékin, en 2008, nourrissent sa vocation et le poussent vers le haut niveau. Avec du recul ‘‘Mak’’ évoque « un déclic », un « flash dans les yeux et dans la tête », « un événement incroyable » qu’il veut « vivre dans sa vie ». Paris2024 est ainsi devenu un objectif. Deuxième meilleur performeur français en 2022 avec 8141 points, derrière le recordman du monde Kevin Mayer, l’élève de Rudy Bourguignon peut rêver. Et c’est dans cette optique qu’il a quitté l’Hérault pour Nice. Après une dernière année au côté de Tidiane Correa au CREPS de Montpellier, il a senti qu’une page devait se tourner. « C’était la fin d’un cycle, détaille celui qui s’est classé 4e du dernier Décastar de Talence, meeting phare des épreuves combinées. J’ai été opéré du tendon d’Achille gauche en août 2021, mon entraîneur (Bertrand
Valcin, NDLR) ne souhaitait plus entraîner (il gère désormais la cellule d’optimisation de la performance auprès de la Fédération française d’athlétisme)… Montpellier, c’était magique, j’ai pris en maturité, mais j’avais envie de voir ailleurs. »
Adepte du stress positif
Ce saut dans l’inconnu a aussi été dicté par ses envies professionnelles. Touche à tout, Gletty dispose d’un CAP en électricité et d’un diplôme de dessinateur projeteur en architecture. À Nice, il a trouvé le cadre parfait pour mener ses deux projets. « J’ai besoin d’équilibre entre le sport
et le monde de l’entreprise. Quand vous êtes dessinateur projeteur, vous devez toujours pratiquer sur un logiciel qui évolue en permanence. Avec Stéphane Diagana (le président du NCAA), on a donc cherché une entreprise capable de m’accueillir avec un contrat d’insertion professionnelle. C’est en cours. À Montpellier, c’était impossible. »
Féru d’astronomie, passé chez les sapeurs-pompiers dans sa jeunesse, cet amoureux des métiers manuels et du bâtiment depuis qu’il a construit ses premières cabanes dans la montagne haut-savoyarde avec ses potes va également signer un contrat
avec la police nationale. Le champion de France Cadets (2016) et Juniors (2018) est un être curieux et ouvert d’esprit. Un personnage de moins en moins perméable au stress. « Le mien est devenu positif. Quand j’ai commencé les épreuves combinées (grâce à Frédéric Mugnier à Bonneville), je n’avais pas confiance en moi. J’avais peur sur le saut à la perche, le 400 m et le 1500 m parce que ce sont des courses qui piquent, rembobine le colosse d’1,92 m .Je n’étais pas encore prêt. J’ai travaillé ces disciplines pour engendrer de la confiance. »
Une sérénité qui s’est amplifiée après son opération du tendon d’Achille. « Je n’avais rien à perdre en compétition où je cherchais à m’amuser. J’ai compris qu’il ne servait à rien de se mettre une pression inutile, que ça bouffait plus qu’autre chose. »
Cet état d’esprit doit le mener loin. Avec 8141 points, il tutoie les minima (8460 points) pour les Mondiaux de Budapest de cet été (Hongrie, 19-27 août). Une jolie carotte pour un athlète qui ne se considère « qu’à 60 % » de son potentiel.