Pénurie de pédiatres : « On est vraiment sous l’eau »
Sur le bassin mentonnais, seuls trois pédiatres exercent encore en ce début d’année 2023. Deux d’entre eux nous ont ouvert les portes de leur cabinet, à Roquebrune-Cap-Martin.
Travailler plus pour ne pas soigner moins. Tel est le credo auquel se sont attachés les docteurs Jean-Louis Pesso et Vanessa Leonard-Martelli, comme nombre de leurs confrères, face au manque de médecins de ville. Mais jusqu’à quand pourront-ils tenir ? Dans leur cabinet du 2, avenue de la Lodola, à Roquebrune-CapMartin, ces deux pédiatres exercent en moyenne douze heures par jour. Ici, le téléphone sonne en permanence alors à l’autre bout du fil, les parents ont souvent du mal à joindre le secrétariat, débordé. « Quand on arrive à 7 heures le matin, il y a déjà une dizaine de personnes qui attendent pour des consultations sans rendez-vous », glisse Vanessa Leonard-Martelli. « Ce qui est très frustrant pour nous, c’est qu’on n’a pas le temps de voir nos patients. Et que pendant ces 12 heures, on va plusieurs fois refuser des gens. Quand on voit arriver une maman qui nous dit : vous ne pouvez pas prendre mon bébé ? Eh bien nous, qui avons choisi ce métier, ça nous fend le coeur », complète Jean-Louis Pesso.
L’hôpital de Monaco comme recours
Les deux professionnels tiennent à bout de bras leur cabinet, le seul de la commune, depuis le départ à la retraite de leur associé, le docteur Henri Forest, en juin dernier. « Il avait 69 ans. Il venait encore nous aider, autant que possible, car il savait ce que son départ provoquerait pour nous. Il a cherché un remplaçant, en vain. C’était un pédiatre avec une très grosse activité, il a donc fallu qu’on absorbe sa clientèle tandis que nous avions déjà une charge de travail délirante », retrace Jean-Louis Pesso. « Finalement,
on a décidé de ne garder que les enfants de moins de six ans car à un moment donné, on ne pouvait pas faire autrement… », souffle Vanessa LeonardMartelli. « Là, c’est notre premier hiver sans lui, et avec cette triple épidémie de Covid-19, bronchiolite, grippe, on a vraiment la tête sous l’eau », confient-ils sans détour.
Un peu plus loin, à Menton, une seule pédiatre exerce encore, conventionnée en secteur 2. Au centre hospitalier de La Palmosa, il n’y a pas de service de pédiatrie à proprement parler, « seulement
des consultations pour les premiers nés une fois que les mères viennent d’accoucher, comme nous n’arrivons plus justement à recevoir des enfants qui ne font pas partis du cabinet, à l’exception de prématurés, d’enfants qui ont des pathologies ou des fratries », explique Vanessa LeonardMartelli.
Du côté de l’ouest de l’agglomération, même constat : «Iln’ya plus que les docteurs Carine et Nathalie Remediani, à Beausoleil, qui exercent en secteur 1 comme nous, et sont dans la même situation », indique la pédiatre. Les parents se tournent ainsi vers le (Photo M.B.)
centre hospitalier PrincesseGrace à Monaco, « mais ils n’ont plus trop de pédiatres non plus », alerte Jean-Louis Pesso. « Aux urgences, ce sont souvent des généralistes qui prennent en charge les enfants car la demande est tellement importante. »
Depuis des mois, les deux médecins essaient à leur tour de trouver un remplaçant au docteur Forest. « On a passé des annonces sur tous les sites d’emploi, dans toutes les revues spécialisées, sur les réseaux sociaux. On a écrit à tous les internats, tous les doyens de faculté, on est allés en Belgique et en Italie. On vante la région, entre mer et montagne, le soleil, notre local rénové et climatisé avec femme de ménage, la proximité avec la gare de Carnolès… », listent-ils. Ils n’ont reçu que trois candidatures, « dont deux très fantaisistes ».
Des internes qui ne restent pas sur Menton
C’est dramatique pour le bassin ”
« C’est dramatique pour la commune et pour tout le bassin », soupire Vanessa Leonard-Martelli. D’autant plus que le temps presse. « J’ai 63 ans, bientôt ce sera à mon tour de partir à la retraite, lâche le docteur Pesso. Que deviendra alors Vanessa ? » Pourtant, les deux médecins forment régulièrement des internes… Qui choisissent de s’installer dans la Métropole voisine. « Les deux dernières que l’on a accueillies ont préféré Cagnes-surMer et Grasse, car elles ont pu acheter une petite maison et sont plus près de Nice », détaille le docteur Leonard-Martelli. « On est d’ailleurs le seul cabinet de PACA Est, entre Saint-Tropez et Menton, qui forme des internes à la pédiatrie de ville, ce qui nous prend aussi du temps et rajoute du travail », souligne de son côté JeanLouis Pesso. « Mais les nouveaux diplômés n’ont plus les mêmes envies. Ils cherchent des modes d’exercice différents, des heures plus raisonnables, ce qui explique que les maisons de santé fonctionnent. »
Quelles solutions, alors ? Pour les deux pédiatres, il faut absolument « ouvrir le robinet » et former davantage. « Le problème essentiel reste la démographie. Si on était plus nombreux, naturellement, les choses se géreraient très bien. Et puis il faut obliger les jeunes qui sont formés à travailler et s’installer en ville, ça c’est le deuxième problème de la médecine, encore plus criant chez les généralistes. »