Hola, c’est par ici la fiesta ?
Et si j’étais... une orange espagnole, débarquée tout droit de Murcia, dans le Sud Est du pays. Je suis destinée au fruitage, en plein pays du citron, et je me pose pas mal de questions...
Ne me regardez pas comme ça ! No. J’ai dit : stop. J’ai vilaine mine, j’suis toute bouffie. J’ai voyagé pendant quarante-huit heures, collée-serréeparquée avec tout un tas d’autres oranges. On m’a tâtée, décrochée de ma branche, arraché les feuilles, jetée dans un panier puis passée sur des tapis roulants… encore triturée, à nouveau déposée dans une cagette avant d’être transbahutée je ne sais où. Pour faire « la fiesta », paraît-il. Pff. Comme si j’étais en état.
Me voilà ici… Cité du citron. Y’a pas comme un blem ? Attends, attends, c’est pas l’pire : « Sous le soleil de Menton », qu’ils disent. Vous voulez qu’on en parle, du soleil ? Non, parce que j’en connais un sacré rayon. Je suis née à Murcia, en Espagne. Qué ? No… pas en Andalousie, ni dans la région de Valence. Les gens confondent tout le temps – socorro. Je suis une orange autonome, moi, señores-señoras ! Auto-no-me. Demandez donc aux clémentines corses, elles vous expliqueront.
Donc, j’en reviens au soleil : ce n’est pas compliqué, il est chez nous, chez lui. Il réchauffe à longueur de temps, dore et même grille. Si t’as pas une ou deux feuilles bien larges sur le sommet de l’épicarpe, il peut vite t’arriver des pépins. Mais c’est aussi notre secret de beauté. Qui parle de pesticides ? Qui ? C’est moi où j’ai l’impression qu’on a débarqué en terres hostiles… C’est quoi le souci ? Nous ne sommes pas BIO ? Pas AOP ? Nous sommes… différentes ? Hay un problema ? Ben va falloir faire avec. Nous sommes 120 tonnes ! On a même emporté quelques amigos citrons. No… ils ne sont pas « eux aussi » pollués (décidément) : ils sont un
peu vitaminés, juste ce qu’il faut pour être magnificos.
Trois millions de nous, chaque année
Je savais que ça m’arriverait. Chaque année, c’est la même histoire. La terre ocre de Murcia nourrit des hectares d’arbres fruitiers, qui donneront des fruits bien balancés, éclatants de beauté et résistants. Mais au lieu d’être délicatement caressés, respirés, dénudés puis croqués, on termine harnachés sur une des dix-sept structures métalliques – entre chars et sculptures – de votre fiesta. Pas qu’on ne soit pas prévenus dès le départ. Mais on a toujours un peu d’espoir… Je suis quand même une orange
espagnole ! Fleuron du pays. Plus gros producteur européen : nous sommes plus de 3 millions de tonnes chaque année. Et nous faisons vivre 60 000 personnes. Ah, elle peut faire la belle, la mandarine méditerranéenne : elle est loin d’offrir un business aussi juteux que le nôtre ! Tout ça pour dire que je pense que nous mériterions un tout autre traitement. Le temps des 1000 bornes, la pulpe en ébullition, j’ai échangé avec quelques camarades de cagette et je les ai sentis chauds bouillants. Faut dire qu’on a le militantisme dans le jus. Indignados !
Carmen en bonne place
Comment ça, je souris ? Bah bah.
Si, claro : elle n’est pas mal votre petite ville. Vale, vale. Le truc bleu, là-bas, au fond, c’est chouette aussi. La mer, vous dîtes ? Si, si, on a ça aussi. Pas aussi près. C’est vrai que l’idée de sentir ses embruns fouetter ma peau d’orange m’émoustille. J’avoue. Que l’envie d’être positionnée tout en haut de Carmen (de Bizet), ça me branche assez.
Comment ça, je me ratatine ? J’me dégonfle. Mais pas du tout. Je n’ai su que tardivement que le thème c’était Rock et Opéra et que l’Espagne serait en bonne place. Ça change la donne, non ? Du coup, je me dis que si on est venu nous chercher à Murcia, ce n’est pas seulement pour notre prix… Environ 80 centimes pour nous et entre 1 et 2 euros le kilo para los limones. C’est parce que notre patrie a toute sa place dans une fête dédiée à l’opéra. Je dirais même qu’il aurait été scandaleux que l’on fasse sans nous… Sont pas si idiots, ces Français, finalement… Arrête Pedro : pas maintenant la révolution ! No, no et no Javier : on n’arrache pas les élastiques pour se jeter sur les badauds ! Respire un peu, tu vas virer sanguine. Puis t’es tout grumeleux. Tu sais bien qu’ils nous aiment lisses. Tranquila Alba… no, y’en n’a pas que pour elle. Mais c’est quand même Carmen. Pfff. Soyez pas si fermes, les gars. Es la fiesta ! Viva Espana !