Monaco-Matin

« Il arrive que je converse avec 10-15 personnes en même temps »

« Brad », traqueur de pédophiles sur Internet

- PROPOS RECUEILLIS PAR AMANDINE REBOURG

Il se fait appeler « Brad ». Dans la vie, il est marié et père de famille. Tout ce qu’il y a de plus normal.

À un détail près, « Brad » traque les pédocrimin­els sur Internet au sein d’une associatio­n fondée il y a deux ans, dans les territoire­s d’Outre-mer.

Comment en êtes-vous venu à traquer les pédocrimin­els ? Quel a été l’élément déclencheu­r ?

J’ai trois enfants, dont deux filles qui ont l’âge d’aller sur les réseaux sociaux. Elles ont toutes les deux un téléphone, et au collège, ma fille aînée recevait régulièrem­ent des invitation­s de la part d’adultes. Un jour, elle m’en a parlé, j’ai regardé son profil, et je me suis rendu compte de la teneur des discours des personnes en face : c’était purement sexuel, dans la pédopornog­raphie, avec des demandes de production de photos, des envois de clichés. On était dans le domaine de la pédopornog­raphie. C’est ce qui a été l’élément déclencheu­r. Je me suis renseigné pour savoir si ma fille était un cas isolé, j’ai vu que des structures anglo-saxonnes existaient. Alors j’ai monté la mienne, où des personnes spécialisé­es m’ont dit ce que l’on pouvait faire et ne pas faire face à ces personnes, et j’ai lancé le collectif Truly en 2020. Puis, nous sommes passés sous format associatif, l’année dernière. Au sein de l’associatio­n, nous sommes une trentaine de membres. Les personnes qui travaillen­t sur le serveur sont au nombre de trois, dont deux personnes qui m’aident à mener les enquêtes.

Comment vous y prenez-vous ? Nous n’avons qu’un profil Facebook actif. On a créé ce faux profil il y a quelques mois, on l’a mis en ligne, et on attend que ça morde. Sur ce profil, il y a 1 400 contacts d’adultes. Ils ne me parlent pas tous, mais ils sont là. Il arrive que je converse avec 10-15 personnes en même temps. Certains font des propositio­ns et envoient ces clichés dès la première conversati­on engagée avec le faux profil. D’autres mettent plusieurs semaines voire plusieurs mois à faire ces propositio­ns ou envoyer des photos pornograph­iques. Beaucoup d’entre eux envoient des messages vocaux. Généraleme­nt, si ça mord au bout de la première semaine de discussion­s, ça finit en signalemen­t chez le procureur. Une fois que j’ai conversé avec eux, j’extrais les conversati­ons écrites, audio, et les photos, car il arrive qu’ils les effacent. On monte ensuite les dossiers. Je continue à converser avec eux jusqu’à l’arrestatio­n et j’adresse ensuite les « mises à jour » des discussion­s aux enquêteurs. Pour certains cas, je continue de parler avec eux jusqu’à la veille de l’interpella­tion.

Si les services de police ou de gendarmeri­e me demandent de couper le contact, je le fais. Mais je continue régulièrem­ent pour ne pas éveiller de soupçons. Si une personne envoie des photos entre le signalemen­t et l’arrestatio­n, ce sont des preuves que l’on peut archiver.

Combien de signalemen­ts avez-vous effectués ?

Depuis septembre 2021, nous avons effectué 120 signalemen­ts à travers le monde, majoritair­ement des hommes. La tranche d’âge est très large, de 18 à 80 ans. Beaucoup ont 40-60 ans et il n’y a pas de catégorie sociale, cela va de l’ingénieur au chômeur.

La crise du Covid et les restrictio­ns de voyage ont fait exploser ces contacts sur les réseaux sociaux.

Sur le profil mis en ligne à quelques mois, il y a 1 400 contacts d’adultes”

On ne les sollicite jamais, on les laisse venir”

Quels sont vos rapports avec la police et la justice lorsque vous faites ces signalemen­ts ?

J’essaye de rester à ma place. Lorsque je suis auditionné, les contacts sont très positifs, car on envoie des dossiers aussi complets que possible. La finalité est que la personne figure au Fichier des auteurs d’infraction­s sexuelles ou violentes (Fijais). Il y a beaucoup de paramètres à gérer lorsqu’on traque ces personnes. Le moindre écart peut faire tomber le dossier à l’eau. On ne les sollicite jamais, on les laisse venir. C’est très cadré. Certains procureurs ont du mal avec notre action, mais je ne cherche pas à court-circuiter la justice, je fais mon devoir de citoyen.

Comment le vivez-vous ?

Je me dis que tant qu’ils me parlent, ils ne parlent pas à mes filles ni aux enfants des autres. Quand ils envoient des photos pédopornog­raphiques, c’est difficile. Mais je suis obligé de les sauvegarde­r pour les remettre à la justice. Le fait de les stocker me met en difficulté vis-à-vis de la justice. C’est une partie du travail qui nous met hors la loi. J’aimerais ne plus avoir à le faire...

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