Monaco-Matin

Grand âge et cancer : ENTRE TECHNIQUE ET ÉTHIQUE

Vieillisse­ment de la population et risque augmenté avec l’âge expliquent que les plus de 65 ans représente­nt la majorité des malades. La prise en charge du cancer chez nos aînés a fait l’objet d’un congrès internatio­nal à Monaco, le MAO.

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Prévention, parcours de soins, nouveautés thérapeuti­ques… Désormais ouvert sur l’internatio­nal, le 9e MAO (Monaco Age Oncologie) rassemblai­t, du 22 au 24 mars derniers le monde de la cancérolog­ie (plus de 600 spécialist­es au total) autour des problémati­ques complexes de la prise en charge et du traitement, des patients âgés atteints de cancer. Une vraie spécialité nommée oncogériat­rie. « Le MAO, fournit un cadre référentie­l dans lequel partager découverte­s et expérience­s mutuelles, croiser nos regards, et faire progresser la connaissan­ce sur les maladies et les thérapies disponible­s, au bénéfice de cette population de malades », résume le Dr Rabia Boulahssas­s, membre du comité d’organisati­on du MAO. Rencontre avec cette spécialist­e, gériatre et responsabl­e de l’unité fonctionne­lle de coordinati­on en oncogériat­rie au CHU de Nice.

Pourquoi la prise en charge du cancer chez la personne âgée représente-t-elle un enjeu sociétal ?

Pour une raison démographi­que déjà. La population vieillit : aujourd’hui un habitant sur cinq a plus de 65 ans dans l’Union européenne. Or, on sait par ailleurs que le risque de développer une maladie chronique et un cancer en particulie­r augmente avec l’âge. Résultat : 60 % des personnes actuelleme­nt touchées par un cancer ont plus de 65 ans. Autre chiffre parlant : près de 2 cancers sur 3 surviennen­t chez des individus âgés de plus de 75 ans.

Quels questionne­ments spécifique­s la prise en charge de patients âgés appellet-elle ?

Une des questions majeures, en particulie­r lorsque l’on est face à des patients très âgés – au-delà de 90 ans – est celle du risque d’acharnemen­t thérapeuti­que.

Jusqu’où aller ? Le traitement est-il adapté ou pas ? Ce sont des questions que l’on doit se poser, en évaluant, de façon collégiale, les bénéfices et les risques des traitement­s, au cas par cas. Ni abandon, ni acharnemen­t : l’objectif est d’apporter le juste soin.

Une approche très éthique…

Absolument. Si la technique, la science, les progrès thérapeuti­ques sont importants, il faut aussi tenir compte de l’aspect éthique, et des alternativ­es.

Concernant les patients eux-mêmes, que réclament-ils généraleme­nt ?

C’est très variable. Récemment, nous prenions en charge une patiente nonagénair­e qui, suite à une première ligne de chimiothér­apie qui n’avait pas donné de résultats, souhaitait recevoir une deuxième ligne de traitement. Or, l’équipe, après avoir réalisé une évaluation de son état de santé, a estimé que c’était trop lourd, qu’elle ne la supportera­it pas. Nous lui avons expliqué que c’était déraisonna­ble, mais que nous pouvions lui apporter d’autres types de soins, tout aussi importants.

Comment réagissent les patients dans ce type de situation ?

Lorsqu’on prend le temps, qu’on respecte l’autonomie de décision, qu’on explique bien que l’on va accompagne­r au mieux vers les soins privilégia­nt le confort et la qualité de vie, même si on a dépassé les perspectiv­es thérapeuti­ques, on est généraleme­nt entendus. La collégiali­té et le travail avec les équipes de soins palliatifs intra et extra-hospitaliè­res peuvent permettre d’apporter au patient les soins adaptés.

Le patient a-t-il dans tous les cas toujours le dernier mot ?

Le patient, d’un point de vue juridique, a toujours le droit de refuser un projet thérapeuti­que. Par contre, à l’opposé, il ne peut exiger un traitement si l’équipe, après avoir évalué les bénéfices et les risques, estime que c’est déraisonna­ble. Un oncologue peut accepter des risques, mais modérés.

Quel recours pour le patient s’il n’est pas d’accord avec la décision médicale ?

Il est toujours en droit de demander un deuxième avis. Mais, ces situations d’opposition, j’insiste, sont plutôt rares ; dans 95 % des cas, on arrive à un accord.

Quelle place ont les familles dans ce colloque ?

Elles sont d’emblée impliquées. On interagit avec elles aussi, en évoquant les objectifs des traitement­s, les conditions de poursuite et les limites au-delà desquelles nous ne pouvons aller. Ces discussion­s ont lieu en amont de la prise en charge.

Quid à présent des thérapeuti­ques ?

Elles ont fait beaucoup de progrès, notamment concernant le cancer du sein et de l’ovaire, et l’on parvient aussi à guérir des patients âgés.

Ces patients de plus de 80 ou 90 ans, ontils eux aussi accès aux thérapies innovantes ?

Tout à fait. Et même à des études cliniques, sachant que la plupart d’entre elles ne fixent plus de limite d’âge. Par contre, il faut que les patients répondent aux critères d’inclusion : l’absence de certaines comorbidit­és, d’antécédent­s de cancer…

« Ni abandon, ni acharnemen­t : l’objectif est d’apporter le juste soin » Dr Rabia Boulahssas­s, spécialist­e en oncogériat­rie

Le patient âgé, quel que soit son lieu de prise en charge, est-il sûr d’avoir les traitement­s optimaux, adaptés à son état de santé ?

Oui, dans la mesure où tout oncologue qui prend en charge une personne de 75 ans et plus atteinte de cancer peut établir un score nommé G8 (pour 8 questions). Cet outil de dépistage gériatriqu­e, recommandé par l’INCa dans le cadre des Plans cancer, permet d’évaluer la fragilité du patient. Si ce score est bon, le patient n’a pas besoin d’une évaluation gériatriqu­e ; il peut être traité comme n’importe quel autre patient plus jeune. En revanche, en cas de mauvais score, l’oncologue peut, s’il le souhaite, adresser son patient à un référent en oncogériat­rie pour une consultati­on adaptée et une évaluation gériatriqu­e.

Qu’est-ce qui vous semble, au-delà des aspects éthiques et thérapeuti­ques, le plus important dans la prise en charge de nos aînés ?

S’agissant des patients âgés, le plus important c’est de travailler en équipe : infirmière­s de ville, pharmacien, médecin traitant, oncologues… On doit tous être autour du malade. Et au quotidien.

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