Vertiges persistants : des SUR LA PISTE D’UN LIEN AVEC LES
Des chercheurs marseillais tentent de démontrer que les vertiges persistants peuvent engendrer des troubles psychiatriques et qu’à l’inverse stress et anxiété peuvent « réactiver » des troubles vestibulaires.
Un lien entre les vertiges et les émotions ? C’est un nouvel axe de recherches sur lequel travaille l’équipe du Dr Christian Chabbert, Directeur de recherche au CNRS à Marseille. Il est à la tête d’une unité de recherche consacrée aux vertiges, une structure qui fait travailler ensemble, autour des chercheurs du CNRS, différents professionnels au contact des patients : des médecins généralistes, des ORL, des kinésithérapeutes vestibulaires, dont le varois Benjamin Parisi. Ils cherchent à démontrer que les atteintes vestibulaires, en particulier quand elles se chronicisent, peuvent être à l’origine de troubles psychiatriques ; et qu’à l’inverse stress et anxiété peuvent « réactiver » des troubles vestibulaires jusqu’alors compensés. Rappelons d’abord que le vestibule, situé dans l’oreille interne, est l’organe sensoriel dédié à l’équilibration. Il enregistre les accélérations reçues par la tête lors des déplacements dans l’environnement. Les atteintes vestibulaires se traduisent par des pertes d’équilibre et des vertiges, souvent associés à des nystagmus (battements des yeux) et des nausées.
Des troubles de l’équilibre sans cause physiologique
« Il arrive que ces vertiges posturaux se chronicisent, on parle alors de vertiges posturaux perceptifs persistants (VPPP). Malgré une prise en charge par leur médecin généraliste, un ORL ou un kinésithérapeute rééducateur vestibulaire, malgré les actions de réhabilitation ou de rééducation entreprises pour corriger les éventuelles anomalies décelées susceptibles d’être à l’origine de ces troubles de l’équilibre (lire par ailleurs), les patients continuent de souffrir de ces VPPP, constate Benjamin Parisi. Et souvent, on décèle chez ces patients des attitudes ou des états psychologiques altérées, un mal-être, une anxiété croissante, du stress, qui peuvent dans certains cas aboutir à un état de choc post-traumatique. » « Quand toutes les causes physiologiques du vertige sont éliminées, ou traitées, on est dans quelque chose qui relève du traumatisme psychiatrique, poursuit Christian Chabbert. Le stress et l’anxiété peuvent être la conséquence des vertiges. Mais ils en sont aussi parfois la source. »
Comment le cerveau traite les informations vestibulaires
Pour comprendre le rôle joué par les émotions, il faut d’abord comprendre comment le cerveau traite les informations en provenance du vestibule au travers de son connectome fonctionnel. Ces informations sensorielles sont d’abord transmises via le nerf vestibulaire au niveau du tronc cérébral, qui collecte également d’autres informations (celles de la vision et de la proprioception par exemple). Puis elles progressent au travers des différents étages du cerveau jusqu’au Thalamus où elles arrivent à une zone « péage », l’insula, qui va déterminer leur importance (leur « saillance »), et autoriser ou pas leur transformation en percept. Les informations sensorielles sélectionnées pourront alors être mémorisées, et mobiliser les zones de l’attention, de la motivation…
Des altérations émotionnelles fortes vont être susceptibles [de créer] des situations d’instabilités vestibulaires.
Un lien avec les émotions
« Dans le cas des patients atteints de VPPP, grâce à l’imagerie médicale, on a constaté, dans différentes zones de ce connectome fonctionnel, des altérations de certains branchements au départ du vestibule, explique Christian Chabbert. On cherche à comprendre où peut se situer le problème dans chacune de ces zones et on trouve des altérations du signal électrique à tous les étages. On constate que des informations erronées, des signaux sans intérêt, deviennent saillants et induisent des perceptions fantômes : des mouvements qui n’existent pas ou des mouvements qu’on ne perçoit pas normalement. »
Et le lien avec les émotions ? « L’insula fait également partie avec l’amygdale, du grand complexe cérébral impliqué dans la gestion de nos émotions. Des stimulations sensorielles répétitives et pathologiques vont ainsi être en mesure de perturber nos émotions en créant des situations de stress et d’anxiété que l’on observe chez nombre de patients vertigineux et instables. En retour, des altérations émotionnelles fortes vont être susceptibles de dérégler le passage de la sensation en perception, créant des situations d’instabilités vestibulaires. On pense également que ces mêmes émotions peuvent lever la compensation vestibulaire que met en place le cerveau après une lésion de l’organe sensoriel. Ces conditions peuvent conduire à la réexpression d’un syndrome ancien qui avait été compensé. »
Deux études cliniques et de premiers résultats de recherches
Cette dernière hypothèse s’appuie sur deux études cliniques. Celle de 2009, conduite par une ORL américaine, a analysé les capacités vestibulaires de volontaires sains. Elle a mis en évidence qu’un tiers de la population des plus de 30 ans présente des dysfonctionnements vestibulaires unilatéraux et asymptomatiques. Une proportion qui grimpe à deux tiers chez les plus de 65 ans, pour atteindre 85 % chez les plus de 85 ans. Une autre étude, allemande, réalisée en 2019, s’est consacrée aux seuls cas symptomatiques : ils ne sont que 5 % chez les plus de 50 ans. « En comparant ces deux études, on a déduit que chez la plupart des gens ayant présenté une atteinte vestibulaire, une compensation, un réarrangement des circuits du cerveau a permis de faire disparaître le syndrome vertigineux, poursuit Christian Chabbert. Mais pour un certain nombre d’entre eux, un choc émotionnel peut modifier les circuits neuronaux utilisés dans la compensation. »
C’est ce que suggère le travail de son équipe : « Chez un rat dont la connexion vestibulaire a été coupée, qui totalement compensé et dont le syndrome vestibulaire a disparu, on se rend compte que les atteintes vestibulaires réapparaissent, même brièvement, pendant la phase de réveil suite à une anesthésie générale. De la même manière, un choc émotionnel pourrait retirer la couverture de compensation et laisser réapparaître le syndrome. »
Le but désormais est donc non seulement de démontrer qu’une atteinte vestibulaire peut engendrer des troubles psychiatriques, mais également qu’à l’inverse, le stress, l’anxiété ou un stress posttraumatique peuvent « réactiver » des troubles vestibulaires en remettant en cause les compensations cérébrales qui avaient permis de les juguler dans un premier temps. 1- Le connectome est le plan des connexions neuronales.
2- Des chercheurs Allemands ont eu accès aux prescriptions médicales de 70 millions de patients, soit l’ensemble de la population : 1,8 % souffre de désordres vestibulaires. Chez les plus de 50 ans, ces troubles représentent 5 % de l’ensemble des prescriptions ! C’est donc un enjeu de santé