« Cueillir » l’exceptionnelle floraison des posidonies
Est-ce un stress ou un bénéfice du réchauffement de la mer ? Une campagne scientifique démarre cette semaine pour récolter fruits et graines des « prairies » de la Méditerranée.
Les scientifiques les appellent volontiers « les olives », mais ces fruits méditerranéens se forment et mûrissent sous l’eau. Spectacle époustouflant que celui de la libération des graines des herbiers de posidonie, qui est en train de se produire au fond de l’eau, le long de nos côtes.
« Suite à l’été caniculaire de 2022, nous avons observé une floraison exceptionnelle des herbiers de posidonies. Le phénomène s’est produit de façon synchrone et massive en Méditerranée occidentale, France, Espagne et Italie. » Patrick Astruch, ingénieur de recherche en écologie marine au Groupement d’intérêt scientifique (GIS) posidonie a le sentiment de vivre un moment particulier.
Il est rarissime qu’autant de posidonies fleurissent en si grand nombre et en même temps. Le GIS, qui fait référence sur cette espèce, saisit l’événement, pour lancer une campagne expérimentale. « Dès que nous avons vu ces floraisons
massives, nous avons monté des projets et recherché des financements. C’est l’occasion d’une expérimentation sur une espèce menacée, qui ne se reproduit que par cycle de trois à dix ans. » En 2022, au lieu de quelques fleurs dispersées, ce sont des champs entiers de posidonie qui ont fleuri d’un coup, simultanément.
La taille d’une pistache
Les fleurs sont apparues, à partir d’août. Les fruits se sont formés au coeur de l’hiver, en janvier. «Le processus naturel veut qu’elles soient en train de se décrocher en ce moment, détaille Patrick Astruch, de retour d’une mission en Corse. C’est très joli, les fruits se détachent, flottent, mûrissent et s’ouvrent comme les pétales d’une fleur. » Dans chaque fruit, se niche une graine « qui ressemble à une pistache ». Cette graine peut atteindre naturellement un fond sableux propice à la plante. Mais elle peut aussi s’échouer sur la grève, où elle sera perdue.
« Nous attendons des échouages massifs, c’est imminent. On parle de millions de fruits, qu’on peut observer sur toutes nos plages. Nous avons eu des signalements dans le Var, en rade d’Hyères, à Cavalaire et La Londe. »
10 000 graines à récolter
Bien sûr, plus la plante est présente, plus il y a de chance de voir ses fruits. « Nous espérons récolter suffisamment de matériel. Nous avons une autorisation spéciale pour la récolte de 10 000 graines ou fruits. » L’équipe du GIS part sur le terrain cette semaine.
Espèce menacée, labourée par les ancres des bateaux de plaisance, la posidonie est protégée et il est interdit de la ramasser ou de la transporter.
Une espèce qui ne se reproduit que par cycle de 3 à 10 ans”
Deux sites de plantation
Les graines récoltées par les scientifiques seront plantées dans un rayon de 100 km de leur lieu de récolte. En Corse, près des Bouches de Bonifacio, et dans la rade sud de Marseille, à proximité de récifs artificiels. Évidemment, dans des secteurs où aucune ancre de bateau ne risque de les détruire. Mais une question de fond reste ouverte. Les posidonies auraientelles profité des canicules marines qui ont chauffé l’eau de mer l’été dernier ?
« Il faut être prudent sur ces hypothèses, répond l’écologue marin, car on est peut-être devant un effet négatif, un stress sur la plante, qui aurait pu fleurir abondamment, en réponse à la chaleur. »
En Corse du Sud, la température de l’eau a atteint 31 °C. «Onavu une baisse de densité de la posidonie. Nous estimons que, au-delà de 29 à 30 °C, il peut y avoir un impact sur la plante », analyse le GIS. Mais plus que des pics de chaleur ponctuels, « c’est la durée de la période chaude, sur plusieurs semaines », que relèvent les scientifiques. L’herbier, qui n’est pas une algue, on le rappelle, séquestre le carbone « avec une efficacité supérieure à tous les écosystèmes connus, c’est un puits de carbone ». Cette prairie sous-marine abrite 30 % des espèces animales présentes en Méditerranée. On connaît peu sa longévité fascinante : « La posidonie n’a pas besoin de se reproduire chaque année, car elle vit plusieurs millénaires ». Certaines ont un âge de 4 000 ans, « comparable à de grands arbres comme les chênes ». Ce n’est plus une prairie, mais une forêt. Ancestrale.