Monaco-Matin

Pour Sacha Guitry, « Monaco n’est pas un nom de pays »

« On ne dit pas qu’on est ‘‘en Monaco’’ comme on dit qu’on est en France, en Italie ou en Norvège », remarque-t-il dans ses « Mémoires d’un tricheur ».

- ANDRÉ PEYREGNE

En 1935, Sacha Guitry publia son roman Mémoires d’un tricheur. Il le dédia « à l’un de ses meilleurs amis : le hasard ». Cette histoire, qui donna un film par la suite (Le Roman d’un tricheur) est celle d’un homme qui s’enfonce dans la malhonnête­té. Au début, cela lui a porté chance, lorsqu’enfant il fut privé de repas pour avoir commis une première tricherie, et qu’il échappa à un empoisonne­ment général de sa famille par des champignon­s vénéneux mangés lors de ce repas ! Sa venue à Monaco, donne ensuite à Sacha Guitry l’occasion de décrire Monaco : « Qu’est-ce que Monaco ? Géographiq­uement c’est un rocher en forme de tête de chien qui n’a guère plus de six cents mètres de longueur sur une largeur d’environ deux cents mètres. Historique­ment, la légende, accréditée par Apollodore, veut que ce soit Hercule qui l’ait fondé… On a trouvé sur le Rocher quelques monnaies antiques. Je trouve ce détail amusant. On ne pose pas à terre des pièces de monnaie, on ne laisse pas traîner de l’argent, comme cela, sur le sol. L’argent qu’on trouve ainsi, c’est de l’argent qui a été perdu – et je trouve qu’il est extrêmemen­t amusant, oui, de penser que dans l’Antiquité, on perdait déjà de l’argent à Monaco ! »

Monaco est un nom de village

« Voyez cette principaut­é souveraine composée d’une ville et d’un village, ce pays qui n’existe pas puisqu’il n’a pas de nom ! En effet, Monaco, c’est le nom du village. Monte-Carlo, c’est le nom de la ville. Mais le nom du pays, quel

est-il ? Quand vous y êtes, vous n’êtes pas ‘‘en Monaco’’, comme vous pourriez être en France, en Italie ou en Norvège. Non, vous êtes à Monaco, comme vous seriez à Carcassonn­e, à Pampelune, à Constantin­e. C’est une principaut­é mais ce n’est pas un pays. Or, j’aime cette ville et ce village qui se touchent à la façon des extrêmes. Car si le village est ancien, la ville, elle, est moderne –

et s’il est monégasque, elle est cosmopolit­e. Chaque étranger peut se vanter d’y être absolument chez lui. Et c’est un cas unique.

On y voit des Anglais, des Russes, des Cubains – comme partout ailleurs – mais ce qui fait qu’ils sont chez eux, plus que partout ailleurs, c’est qu’il n’y a pas de Monégasque­s à Monte-Carlo. Ce n’est pas une ville étrangère : c’est une ville pour étrangers. »

« Il n’y a pas de riches Monégasque­s »

Sacha Guitry s’interroge : «Où sont les Monégasque­s ? » Il répond à cette question dans la suite de son roman : « Au casino, croupiers ! On n’est pas croupier, on naît croupier, à Monaco. C’est une charge héréditair­e. Tout Monégasque, à sa naissance, trouve en effet dans son berceau le traditionn­el râteau noir du croupier…

Il y a douze mille Monégasque­s en tout. Retirons les enfants, les femmes et les vieillards. Comptons trois mille enfants, six mille femmes et mille à deux mille vieillards : il ne reste environ que deux mille croupiers. On conviendra que c’est bien juste… En outre, signalons ce fait exceptionn­el : il n’y a pas de Monégasque­s qui soient riches. On n’entend en effet jamais parler d’un ‘‘riche Monégasque’’, d’un ‘‘millionnai­re monégasque’’. Il n’y a pas de riches Monégasque­s pour la bonne raison qu’il n’y a pas de pauvres Monégasque­s.

Or l’idée de devenir riche ne peut venir qu’à un pauvre. Un homme qui vient au monde avec sa place désignée d’avance – telle une table de roulette, un homme qui n’a pas d’impôts à payer – et c’est le cas des Monégasque­s – peut-il concevoir une plus agréable existence que la sienne ?

Oui, c’est une délicieuse opérette en deux tableaux, en deux décors très différents, le décor de la ville et celui du village. Au milieu du village : un palais. Au milieu de la ville : un casino. Au palais règne un prince. Au casino règne un dieu : le Hasard ! »

Pas cent mètres de terre labourée

Sacha Guitry continue à exprimer son admiration de la Principaut­é : « Pour aller au palais, toutes les routes montent. Elles descendent toutes pour aller au casino – ou plus exactement elles vous y conduisent… Séjour enchanteur qui vit réellement de l’illusion des autres ! Étonnant point du globe où l’on ne trouverait pas cent mètres de terre labourée. Dame, où voudriez-vous que l’on plantât des raves : il y a des hôtels partout ! Et il y en a qui sont si grands que la frontière passe entre l’aile droite et l’aile gauche du bâtiment. Si l’on vous chassait un jour de Monaco, vous n’auriez qu’à changer de chambre d’hôtel… »

La morale est sauve

Le roman se poursuit. Le tricheur se fait naturalise­r monégasque et devient croupier. En 1914, la France ne reconnaiss­ant pas la naturalisa­tion monégasque, le tricheur étant français est appelé sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale. Blessé, il doit quitter l’armée. Il revient à Monaco où il retrouve son métier de croupier. Mais les affaires tournent mal.

Sa vraie nature reprend le dessus. Il est renvoyé pour tricherie. Il mènera ensuite une vie itinérante à travers la France, sera ruiné. Il finira honnête en trouvant du travail chez un fabricant… de cartes à jouer. La morale est sauve.

 ?? (DR) ?? Le «Roman d’un tricheur», un film tiré du roman «Mémoires d’un tricheur».
(DR) Le «Roman d’un tricheur», un film tiré du roman «Mémoires d’un tricheur».

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