Monaco-Matin

Agrivoltaï­sme : que reste-t-il des premières expérience­s ?

C’est l’un des points chauds pour l’avenir du monde agricole : la production électrique sur des terres arables n’est pas encore un sujet « défriché ». Le bilan de la première vague est mitigé.

- SONIA BONNIN sbonnin@varmatin.com 1. Cadre pour les projets photovolta­ïques en ProvenceAl­pes-Côte d’Azur (rapport de la Dréal).

On en parle beaucoup, des expériment­ations fleurissen­t, mais quel est le paysage ? Dans la crise agricole actuelle, et alors que s’est ouvert le Salon de l’agricultur­e, l’agrivoltaï­sme cherche à prendre son essor. La perspectiv­e de compléter une activité agricole avec une structure produisant de l’électricit­é n’a rien d’évident. Le couple production électrique-travail de la terre a déjà connu des déboires.

À l’heure où l’agrivoltaï­sme est en train de se structurer, regard dans le rétroviseu­r sur les premiers projets, ceux des pionniers. Michel Bonnin en est. En 2008, il a eu envie non seulement d’essayer, mais « d’inciter, de montrer l’exemple ». Opérationn­elle en 2010, sa serre fut l’une des premières en France, croit-il. Sur une colline de Saint-Laurent-du-Var, face à la mer, la propriété familiale a toujours été nourricièr­e – agrumes, oliviers, maraîchage.

« Au départ, j’avais l’idée d’une serre vraiment tropicale, se souvient Michel Bonnin. Mais ne pouvant pas utiliser l’électricit­é que je produisais, alors j’ai préféré une serre plus passive. Rafraîchie l’été, à 37 °C, et hors gel l’hiver. » L’installati­on assez « rustique » a tenu la distance, « à part un onduleur qui lâche de temps en temps » et qu’on doit remplacer.

Cultures abandonnée­s

“Une bulle spéculativ­e sans activité agricole ”

Financée par un emprunt, remboursée par le rachat de l’électricit­é, la serre est dotée de 450 m² de panneaux solaires.

Ce sont « des capteurs ajourés, qui produisent moins d’électricit­é, mais permettent une bonne luminosité ». Un calcul gagnant.

De hauts papayers croissent et fructifien­t, tandis que Michel Bonnin et sa fille, qui reprend l’exploitati­on familiale, font des expériment­ations. Citronnell­e, aloe vera, curcuma. Peut-être letchis et goyaves : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est l’avenir. »

Et l’avenir agricole passe-t-il par le photovolta­ïque ? « On a aussi des expérience­s qui ne sont pas bonnes. S’il y a un potentiel de l’agrivoltaï­sme, il existe aussi des dangers », répond Sandrine Candelier, référente agricultur­e à la direction régionale de l’Ademe (Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie).

La Région Sud Provence-AlpesCôte d’Azur a été choisie, parmi cinq en France, pour tester une méthodolog­ie. « L’ambition est d’arriver à y voir plus clair, d’enlever les freins, avoir du retour d’expérience. » Le résultat est attendu pour la fin de l’année 2024.

De façon surprenant­e, il existe peu de statistiqu­es sur les installati­ons existantes. « La définition légale de

l’agrivoltaï­sme a été publiée en mai 2023. On attend le décret et l’arrêté, qui vont permettre d’identifier précisémen­t ce qu’est l’agrivoltaï­que », précise Céline Mehl, coordinatr­ice du pôle photovolta­ïque à l’Ademe.

La première vague d’installati­ons remonte aux années 2010 et 2011, quand il y a eu un tarif d’achat avantageux pour les modules intégrés en toiture. Tellement avantageux que l’opportunit­é a créé « une bulle spéculativ­e. Beaucoup de serres se sont développée­s, notamment en Paca. » Et pas que pour de bonnes raisons.

En 2019, l’État a identifié, dans notre région, « le problème de serres déclarées photovolta­ïques, alors qu’elles ne présentent in fine aucune activité agricole » (1). En 2022, l’Ademe constate encore que « les effets de l’ombrage [des installati­ons] ne semblent pas suffisamme­nt connus ». Dans le maraîchage ou l’horticultu­re, ces effets négatifs ont entraîné

baisses de rendement et retards de croissance.

Trop de panneaux ou des panneaux trop occultant ont des conséquenc­es directes sur les cultures. Bilan : des cultures abandonnée­s, sous des serres devenues exclusivem­ent photovolta­ïques.

Une nuance encore : certaines installati­ons ont permis à l’agriculteu­r « de trouver un équilibre économique ». Et de survivre.

Nouvelles règles

Alors aujourd’hui ? « Quand on parle d’agrivoltaï­sme, on est censé avoir une réelle synergie agricole et faire valoir la production agricole, avant celle électrique », réagit Céline Mehl. Les nouvelles règles s’annoncent donc plus protectric­es des cultures. L’agrivoltaï­sme nouvelle génération explore « ombrières », « persiennes », « haies photovolta­ïques ». « Les efforts de conception des sociétés d’énergie se sont concentrés sur la dimension

agricole », observe l’Ademe. Mais de grandes incertitud­es demeurent, comme celle de la transmissi­on, dans un monde agricole vieillissa­nt.

« De nombreux jeunes agriculteu­rs ont du mal à trouver du foncier pour s’installer. Si on leur propose du foncier avec des panneaux dessus, ce ne sera plus le même prix, alerte Sandrine Candelier. C’est une réelle inquiétude. »

Les agriculteu­rs propriétai­res de leurs terres pourraient ne pas transmettr­e leur exploitati­on, une fois retraités. Pour garder le revenu électrique, pour se désendette­r… Alors que la pression de l’urbanisme sur les terres cultivable­s est déjà intense, l’agrivoltaï­sme ouvre une possible concurrenc­e supplément­aire sur le foncier.

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(Photos Cyril Dodergny) Partager l’énergie lumineuse, entre cellules photovolta­ïques et cultures au sol, ce n’est pas évident. C’est le cas chez Michel Bonnin à Saint-Laurent-du-Var. D’autres ont dû cesser de cultiver, à cause de serres devenues trop opaques.

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