Monaco-Matin

Ils dévoilent la face CACHÉE DE NOTRE GÉNOME

Quels sont ces gènes que l’on croyait endormis depuis des millénaire­s et que l’on découvre pleinement actifs dans des cancers ? Découverte niçoise.

- NANCY CATTAN

On les nomme « gènes sauteurs » (ou « transposon­s »), en référence à leur capacité de voyager très librement au sein de l’ADN, mais aussi de se reproduire et se disperser un peu partout dans le génome (lire encadré). On a longtemps cru que ces petits fragments ADN littéralem­ent insaisissa­bles, n’avaient d’autres rôles que celui de… « se taire », après avoir joué un rôle majeur dans l’évolution. « Certains ont été domestiqué­s (devenus indispensa­bles, Ndlr), au cours de l’évolution, ce qui a permis l’apparition des anticorps chez les vertébrés ou la formation du placenta chez les mammifères », cite Gael Cristofari, chercheur à l’IRCAN à Nice (Institute of Research on Cancer and Aging) et spécialist­e de ces gènes. Et puis, à la fin des années quatre-vingt, surprise : on s’aperçoit que ces séquences génétiques, réduites au silence par des processus épigénétiq­ues (mécanismes qui altèrent l’expression des gènes, et donc la fabricatio­n des protéines correspond­antes), sont en réalité capables de se réactiver. « Des maladies génétiques trouvent ainsi leur origine dans l’insertion de certains de ces gènes sauteurs dans le génome d’enfants alors que les parents ne sont pas porteurs de mutations, illustre Gael Cristofari. Depuis 2010, on sait qu’ils sont aussi réactivés dans les tumeurs solides (par opposition aux cancers du sang,

Ndlr), particuliè­rement de la tête et du cou, du système digestif et des poumons. » Mais, dans les cancers, les gènes sauteurs ont une influence à double tranchant.

Cartograph­ie des gènes actifs

« Ils participen­t à la formation des tumeurs en créant des mutations, mais en même temps, ils peuvent aussi aboutir à la synthèse de protéines normalemen­t absentes dans les cellules “saines” (non cancéreuse­s). Ces protéines, uniquement présentes dans les cellules tumorales peuvent être détectées par le système immunitair­e comme des “molécules étrangères”, ce qui aiderait ainsi à éliminer la tumeur. » Ces découverte­s ont conduit à envisager ces gènes sauteurs comme de potentiell­es

nouvelles cibles thérapeuti­ques contre le cancer. Mais, pour aller plus loin sur cette piste, une étape importante devait encore être franchie : identifier les « gènes sauteurs » actifs chez l’Homme, une tâche d’autant plus difficile qu’ils étaient considérés jusque-là comme la « face sombre » de notre ADN, car peu accessible­s par les méthodes classiques d’analyse. Et c’est le défi titanesque que vient de relever l’équipe dirigée par le scientifiq­ue niçois, à l’issue de sept années de recherches : « Après avoir mis au point une nouvelle technique d’analyse, nous avons pu établir la cartograph­ie de ces gènes actifs chez l’Homme », annonce modestemen­t Gael Cristofari. Ces travaux de cartograph­ie publiés ce moisci

dans la prestigieu­se revue Cell Genomics, ont fourni de précieux renseignem­ents sur la façon dont ces gènes sauteurs sont contrôlés, mais aussi sur les mécanismes de leur réactivati­on et leur influence sur les gènes avoisinant­s. « Il s’agit d’une étape essentiell­e pour pouvoir exploiter cette partie encore peu explorée de notre ADN à des fins thérapeuti­ques, conclut le chercheur .On pourrait par exemple imaginer utiliser des traitement­s épigénétiq­ues (capables de modifier le profil d’expression génique au sein des cellules tumorales, Ndlr) pour forcer la réactivati­on des gènes sauteurs dans les tumeurs et stimuler ainsi leur éliminatio­n par le système immunitair­e. » Une piste très prometteus­e.

 ?? (Photo IRCAN) ?? Les scientifiq­ues à l’origine de ces découverte­s : de gauche à droite: Sophie Lanciano, Aurélien Doucet, David Pratella, Claude Philippe et Gael Cristofari, qui a dirigé les recherches.
(Photo IRCAN) Les scientifiq­ues à l’origine de ces découverte­s : de gauche à droite: Sophie Lanciano, Aurélien Doucet, David Pratella, Claude Philippe et Gael Cristofari, qui a dirigé les recherches.

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