Monaco-Matin

Le grassenc UN CÉPAGE OUBLIÉ QUI CARTONNE

Enclave des côtes de Provence dans les Alpes-Maritimes, à Villars-sur-var, Clos Saint-Joseph réhabilite un vieux cépage devenu furieuseme­nt tendance et qui n’existe nulle part ailleurs.

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Le grassenc ? « Un cépage racé et poivré, léger et peu tannique, qui évoque au nez le pineau d’Aunis » du remuant vignoble de Loire, selon Roch Sassi, qui cultive avec sa compagne Constance Malengé, un vignoble familial de 5 hectares à Villars-sur-Var, le seul domaine du départemen­t des Alpes-Maritimes à bénéficier de l’appellatio­n côtes de Provence. Revenus en 2007 dans ce bourg médiéval à 52 kilomètres au nord-ouest de Nice, les vignerons du Clos Saint-Joseph y défendent, avec une ferveur évidente, quelques souches de grassenc. Depuis le millésime 2019, Roch et Constance produisent 1200 bouteilles d’un vin rouge de ce cépage qu’ils ont sorti des limbes ! « Le grassenc, on ne le tient pas ! Chaque année, en quinze jours, nous vendons toute notre production. Pendant dix ans, bien avant de pouvoir en produire, Constance et moi en avons parlé à tous les clients qui venaient ici, ce cépage c’est notre fierté », raconte Roch Sassi, pour qui l’aventure du grassenc a commencé en 2012.

Des chercheurs et une collection de cépages

Cette année-là, d’éminents spécialist­es des cépages, les chercheurs Olivier Yobrégat et JeanMichel

Boursiquot, étaient venus prospecter les vignes de Villarssur-Var, un paradis de la diversité ampélograp­hique [la science des cépages, ndlr] à l’écart des principaux vignobles de Provence. En repérant des cépages jusqu’alors inconnus du monde du vin – six ont pu être identifiés par analyse ADN –, ils ont relevé quelques bois de grassenc, pour les mettre en collection au domaine de Vassal, la plus grande collection de cépages au monde surnommée « le Louvre de la vigne », dans l’Hérault. Une entreprise de sauvegarde pour ce cépage quasi disparu, dont il ne subsistait en 1994, que deux hectares dans les Alpes-Maritimes, selon l’Entav, établissem­ent public dont l’une des missions est d’identifier et classer le matériel végétal viticole.

C’est l’Arlésienne

Pourtant, quelques souches avaient échappé à la vigilance de l’Entav, lors des différente­s campagnes de recensemen­t (1960, 1990, 2012) à Villars-sur-Var.

« Dans ce village en polycultur­e, chacun avait sa vigne, des parcelles familiales qui n’avaient pas vocation au départ à faire du vin en appellatio­n. Quand je suis revenu, 25 vignerons amateurs exerçaient », raconte Roch Sassi dont le grand-père et le père avaient identifié dans leurs parcelles, quelques souches de grassenc.

« Depuis toujours c’était le grand cépage de Villars. Ici, tout le monde le connaît, mais personne ne l’a goûté parce que c’est un vignoble complanté(1), jusqu’à 20 à 30 cépages différents pouvaient coexister sur un même lopin de terre », explique le vigneron. Niché dans un cirque montagneux, le vignoble villarois qui domine la vallée du Var, a ainsi été le refuge d’un vin disparu, protégé de la standardis­ation des cépages internatio­naux du fait de son isolement et du verrou constitué par les gorges de la Mescla, qui longtemps interdiren­t tout passage vers ces riantes vallées. Disparu jusqu’à cette mission providenti­elle de 2012.

Roch et Constance saisissent l’opportunit­é pour collecter, eux aussi, quelques bois dans les vignes, qu’ils confient au célèbre pépiniéris­te de la vallée du Rhône Lilian Bérillon, chargé de produire les greffons.

Huit ans de patience

« Le grassenc, à Villars, tout le monde le connaissai­t mais personne ne l’avait goûté »

« On a planté en 2015, ensuite il a fallu attendre 2019 pour récolter le premier millésime », retrace le vigneron. Des vendanges inoubliabl­es, pour ce cépage qui jouait l’Arlésienne et qui enfin, allait révéler son corps. « Quand on goûtait les raisins, on retrouvait les caractéris­tiques du pineau d’Aunis, ça goûtait le poivre, c’était une projection dans un imaginaire extraordin­aire qui s’est confirmé pendant les fermentati­ons », se souvient Roch.

Sur les contrefort­s des Alpes, les vignes profitent d’une amplitude de températur­e qui nourrit la fraîcheur des vins de Clos Saint-Joseph, à faibles degrés (entre 12 et 12,5°). Un profil montagnard inattendu en Provence, mais qui sied à merveille au grassenc. Un petit cépage devenu grand, que s’arrachent aujourd’hui cavistes, restaurant­s gastronomi­ques niçois et chefs étoilés français.

IDELETTE FRITSCH ifritsch@nicematin.fr (1) La complantat­ion est une pratique ancestrale qui consiste à mélanger dans une parcelle des cépages différents.

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(Photo I. F.) Roch Sassi et Constance Malengé.

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