Fraudes à la TVA : l’État réclame 107 millions d’euros
Les 20 et 21 février, quatre prévenus comparaissaient devant le tribunal correctionnel pour des escroqueries de type « carrousel à la TVA », opérée dans les années 2000. Une affaire complexe.
Les quinze tomes empilés sur le bureau du tribunal correctionnel illustrent l’aspect tentaculaire et éminemment complexe du dossier. Deux jours de procès ont été nécessaires pour se replonger dans 15 années d’instruction d’une affaire sophistiquée de fraudes à la TVA, de type « carrousel », dans les années 2000, impliquant plusieurs sociétés basées en Principauté : les SAM Miroil International et Jea-Fra, d’abord et, surtout, Tekworld.
La victime principale ? L’État monégasque, dont les services fiscaux ont estimé le préjudice total à plus de 107 millions d’euros.
Dans ce mécanisme d’escroquerie, on retrouve des chaînes de sociétés d’import-export implantées dans divers pays d’Europe (France, Angleterre, Espagne et, donc, Monaco…) – dont des coquilles vides – faisant transiter en boucle des composants électroniques, mais aussi des comptes à Hong Kong et une papardelle de protagonistes à tous les maillons de la chaîne, régulièrement cités à l’audience.
Bataille de convictions
Cités à la barre, pourtant, seulement quatre prévenus français. Tous soupçonnés d’y avoir pris part à des degrés divers et sur des périodes différentes : Khanh Long C. – absent à l’audience, il a reconnu les faits et est présenté par les juges « comme un professionnel du carrousel qui disparaît quand ça ne marche plus » –, ainsi que Willy J., Michel N., et Clément F.
Les trois premiers ont déjà été condamnés pour d’autres carrousels de TVA. Quant au dernier, désormais retraité, il affiche des casiers judiciaires monégasque et français vierges de toute condamnation. C’est principalement autour de ces
deux derniers personnages que le président Florestan Bellinzona s’est concentré, qu’une bataille de convictions et de preuves s’est jouée, tant du côté des prévenus que de leurs avocats respectifs.
« Champion olympique »
En novembre 2006, après avoir purgé trois ans de prison en Angleterre pour carrousel de TVA et alors qu’il n’est pas encore inquiété judiciairement pour le carrousel avec Miroil/Jea-Fra, Michel N. dénonce auprès d’une juge d’instruction française un autre système, celui de Tekworld avec des montants générés autrement plus astronomiques. Une fraude à laquelle participeraient, selon lui, Clément F. et Willy J, agents commerciaux au profit de Tekworld, le premier se chargeant de dénicher de gros clients, le second essentiellement des fournisseurs.
« Tout ce que Michel N.a décrit s’est
vérifié », explique le président Florestan Bellinzona, interrogeant les deux prévenus sur les étrangetés du dossier : des sociétés de fournisseurs fiscalement défaillantes et dépourvues de structures logistiques (l’une a un gérant domicilié dans un centre pour réfugiés à Paris ; l’autre est active plusieurs années après la mort de son unique gérant) ; des marchandises non assurées ; deux clients finaux dont l’activité n’a rien à avoir avec de l’informatique ; des virements sur des comptes à Hong Kong ou encore un chiffre d’affaires qui explose au fil des années (+11 179%, d’une année sur l’autre). « Les deux points d’interrogation de ce dossier, c’est de savoir si la marchandise était réelle ou pas, et si vous étiez au courant ou non que vous participiez au carrousel. »
Fidèles à leur ligne de conduite depuis le début de l’instruction, Clément F. et Willy J. ont nié avoir joué un quelconque rôle. Ils n’étaient pas décisionnaires, disent-ils. « C’est
le système de Michel N. Il a phagocyté Tekworld. Il détient et connaît tous les rouages. Tous les acteurs lui sont connectés. C’est un champion olympique. Il nous a enfumés et a créé des diversions permanentes », affirme Clément F.
Pour ses deux avocats, Mes Régis Bergonzi et Philippe-Francis Bernard, le mobile est clair : Michel N. aurait passé un « deal » avec la juge d’instruction pour se disculper avant que l’affaire Miroil/Jea-Fra n’éclate. « Faux », répond Michel N. qui nie être le cerveau de toute l’histoire. Aucun ne flanchera devant les juges.
« Brouiller les pistes »
« C’est un mécanisme bien rodé, mis en place par des gens intelligents rompus à cela. Il y a du professionnalisme dans cette délinquance ,aestimé Me Christophe Sosso, avocat de l’État monégasque, partie civile. Ce type de fraude est une plaie pour
Monaco et d’autres pays. Michel N. et Clément F. se sont écharpés. Quel que soit la réalité de la situation, ce n’est pas mon problème. La Principauté
au titre des (1)
sollicite 107M dommages et intérêts. »
Le procureur général, Stéphane Thibault, a évoqué la complexité de l’enquête. « En rajoutant des sociétés dans des États tiers, dont certains ne sont pas coopératifs sur le plan judiciaire ou fiscal comme Hong Kong, cela brouille les pistes et il est plus difficile pour les autorités de remonter la trace des bénéficiaires. »
Avec « l’annulation de pièces » ,ila décrit « un dossier bancal avec des trous » et demandé aux juges de se concentrer sur les parties pleines. À ses yeux, l’implication des prévenus ne fait pas l’ombre d’un doute. « C’est une bande d’escrocs. L’un n’est, pour l’instant, pas condamné en tant que tel. Ce sont des gens qui ont réalisé une escroquerie, chacun dans son propre intérêt : gagner de l’argent. La mise en place du système Tekworld, c’est Michel N. Quand il disparaît en prison, il reste Clément F. Il ne pouvait ignorer ce schéma de fraude, d’autant qu’il était payé au chiffre d’affaires. »
Au regard de l’importance des faits reprochés à chacun et des antécédents judiciaires différents, le procureur général a requis des peines d’emprisonnement assorties d’une liberté d’épreuve, avec obligation d’indemniser les parties civiles : 3 à 4 ans pour Michel N. ; 12 mois pour Clément F. ; 30 à 36 mois pour Khanh Long C. ; et 6 mois pour Willy J.
Délibéré le 16 avril prochain. (1) 104,6 M pour Clément F. et Willy J. ; 2M pour Michel N. et 758 000 pour Khanh Long C. Me Grégoire Gamerdinger, conseil du syndic liquidateur de Tekworld, a demandé que l’État et son client soient