Monaco-Matin

Des « polluants éternels » retrouvés en Méditerran­ée

Lancé dans un défi sportif de relier Calvi à Monaco à la nage en juin dernier, Rémi Camus s’était entouré de scientifiq­ues pour étudier la présence de polluants en mer. Les résultats sont tombés.

- YANNIS DAKIK ydakik@nicematin.fr

Vous vous souvenez peutêtre de son visage. En juin dernier, Rémi Camus s’était lancé dans un défi sportif à des fins de sensibilis­ation environnem­entales (lire ci-dessous). Cette fois, ce n’est pas d’exploit sportif mais plutôt d’études scientifiq­ues dont il est question. Et les nouvelles ne sont pas bonnes. Au cours de sa traversée, l’explorateu­r s’était entouré de toute une équipe de savants.

Le souffle et les esprits retrouvés, l’aventurier mais surtout les scientifiq­ues se sont attelés à l’analyse des données récupérées à l’aide d’un procédé novateur pendant sa traversée, suivi par un voilier. « C’est la start-up clermontoi­se qui s’appelle Capillum et qui travaille sur le pouvoir des cheveux, détaille Rémi Camus. C’est un paillage naturel de cheveux. La fibre capillaire arrive plus facilement à contenir de l’eau. Au début c’était utilisé au pied des arbres et je leur ai demandé si on ne pouvait pas utiliser ces coussins de cheveux pour faire des analyses en Méditerran­ée. Le protocole était simple : on a tracté par le voilier qui me suivait un coussin de cheveux blancs qui servait de témoin et plusieurs autres qui suivaient. Grâce à cela on a pu étudier la présence des métaux lourds et des Pfas dans l’eau. »

Que sont les Pfas ?

C’est justement ces Pfas (des substances per- et polyfluoro­alkylées, un composé organique de carbone et de fluor) qui ont été retrouvées au terme d’analyses de plusieurs semaines dans les laboratoir­es de Wessling France. «Les Pfas, ce sont plus de 4 400 molécules qui sont utilisées dans énormément d’applicatio­ns industriel­le ou particuliè­re, explique Stéphane Fievet, responsabl­e recherche et développem­ent chez Wessling France. La source est diffuse, partout et incontrôla­ble. Ce sont principale­ment des déperlants, ce qu’on va mettre sur des textiles pour les rendre hydrophobe­s. C’est antiadhési­f, donc c’est utilisé pour les ustensiles de cuisine. Le téflon en est un. C’est aussi utilisé dans des peintures déperlante­s, sur des coques de bateaux, dans du caoutchouc. Je fais souvent la comparaiso­n avec l’amiante. On l’a découvert dans les années 1980 en France et on a trouvé que c’était un miracle et on l’a mis partout. Quelques années plus tard on s’est rendu compte que c’était peut-être une connerie. Ici, on est précisémen­t sur la même analogie. C’est une substance miracle qui sert à tout mais on se rend compte aujourd’hui que c’est éternel. »

Éternel, et donc, présent en mer Méditerran­ée. « Ce qu’on sait, c’est que les cheveux qui étaient dans l’eau en ont concentré. En 48h, on a relevé 18 microgramm­es par kilo de cheveux. » Si la quantité peut paraître infime, il faut la transposer à l’échelle des 2,5 millions de km2 et aux 3,7 millions de km3 que représente la grande bleue.

«Lasourcees­t diffuse, partout et incontrôla­ble »

Autre exemple qui concerne notre mer puisque le Rhône s’y déverse, celui de la région Rhône-Alpes. « Le plus grand site pollué est à Rumilly où le groupe Tefal fabriquait ses poêles. Il y avait une décharge dans laquelle ils rejetaient leurs production­s qui sont bourrées de Pfas qui se retrouvent dans le Rhône et les nappes phréatique­s parce qu’à l’époque on s’en moquait. »

Même problème dans cuisines. « À partir du moment où vous mettez votre couteau dans le fond de votre poêle, le revêtement s’endommage. » Idem pour la cuisson. « Tout cela passe par l’aliment, qui va passer par vous et vous allez le rejeter par voie naturelle. » Et, finalement, se retrouver dans les mers et océans. Bien que cette problémati­que concerne également les terres.

Quelles conséquenc­es sur notre santé ?

Décrire les conséquenc­es qu’ont ces molécules sur la santé humaine tient en quelques lignes. Interrogé, Stéphane Fievet répond simplement : « C’est cancérigèn­e, c’est mutagène, c’est reprotoxiq­ue et on a des doutes sur le fait que ce soit toxique pour les foetus… [rire jaune]. Ces études sont récentes donc on n’a pas de retour suffisant. On a des suspicions, des suspicions fortes. »

Comment s’en débarrasse­r ?

Ce qu’on sait de ces polluants découverts il y a 40 ans et révélés après une longue enquête du Monde en février 2023, c’est qu’ils sont qualifiés « d’éternels » car il est impossible pour la nature de s’en débarrasse­r d’elle-même. Ces molécules créées par l’Homme seraient donc destructib­les uniquement par l’Homme. « Aujourd’hui on a des technologi­es qui nous permettent de le faire. On les brûle à très haute températur­e. »

Sauf que pour les brûler, encore faut-il les avoir sous la main. Comment parvenir à récupérer ces molécules invisibles à l’oeil nu qui se baladent aussi bien dans de vastes étendues d’eau comme la Méditerran­ée que dans les sols ? Déjà, Stéphane Fievet rappelle qu’il faudrait commencer par s’attaquer à la source du problème et arrêter d’en rejeter. Ensuite, « une fois que c’est fait – et les deux solutions ne s’excluent pas – il faut voir comment corriger les erreurs du passé. Il faut pouvoir les concentrer. Rien n’est impossible, c’est typiquemen­t ce que vient de faire le cheveu dans la Méditerran­ée. Il y a beaucoup de travaux de recherche et développem­ent qui sont menés en France et en Europe et qui travaillen­t sur plusieurs niveaux. Certains travaillen­t sur des dégradatio­ns naturelles. C’est-à-dire des groupement­s microbiolo­giques qui, en s’associant, vont dégrader les Pfas. » L’autre axe de travail porte sur « la filtration des médias ». L’eau étant le plus gros vecteur de Pfas. « Chez Wessling on a un projet en cours qui est de trouver un système qui permet de filtrer l’eau et de libérer une eau dépolluée a minima des Pfas, au mieux de tout polluant. On brûlerait ensuite les résidus ou alors on opérerait autrement. Si cette technique filtrante est développée, on pourrait très bien, schématiqu­ement, en disposer à la sortie d’une usine qui pollue et filtrer ses eaux. Comme on pourrait – sûrement pas pour la Méditerran­ée – mais filtrer le Rhône sur des zones délicates et polluées. »

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