Monaco-Matin

« Oum Kalsoum » à Paris ENQUÊTE SUR UN CONCERT TRÈS SPÉCIAL

- VALÉRIE PALA vpala@nicematin.fr > « Oum Kalsoum, l’arme secrète de Nasser », de Martine Lagardette et Farid Boudjellal. Éditions Oxymore. 192 pages. 25,50 euros.

Elle fut une voix unique, qui dépassa les frontières des pays et des religions. La chanteuse Oum Kalsoum est le sujet d’une BD signée par le dessinateu­r d’origine toulonnais­e Farid Boudjellal et la journalist­e et écrivaine Martine Lagardette. « Oum Kalsoum, l’arme secrète de Nasser », vient de paraître chez Oxymore, la toute nouvelle maison d’édition du petit frère de Farid et ancien patron du Rugby Club Toulonnais (RCT) Mourad Boudjellal.

En près de 200 pages, cet imposant album revient sur un moment unique de la carrière de diva égyptienne (1898-1975), son concert à L’Olympia à Paris, en novembre 1967. La seule fois où elle se produira en dehors du monde arabe. Un événement qui est toujours dans les mémoires, comme l’a rappelé Farid Boudjellal, lors d’une rencontre avec ses lecteurs à la librairie Contreband­es, à Toulon. Il a eu l’idée de ce projet.

« En 1967, j’avais 14 ans, j’étais à Toulon. À la télé, j’apprends qu’Oum Kalsoum est passée à

L’Olympia. Mon père était aussi musicien… Il y a des choses, parfois, qui vous restent dans l’esprit, et vous les ressortez. »

Tensions dans le monde et à Toulon

La guerre des Six jours a signé la défaite de l’Égypte quelques mois auparavant, contre Israël. Le monde ne cesse d’être en tension depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. À Toulon même, se souvient Farid Boudjellal, « une salle de cinéma rue Baudin, qui devait projeter “La Bataille d’Alger” se fait exploser à la fin des années 1960. Les Toulonnais s’occupaient à l’époque!»

Dans ce contexte internatio­nal, l’organisati­on de ce concert devient un véritable parcours du combattant, pour Bruno Coquatrix, le directeur de L’Olympia, qui est le personnage principal de cette saga. Tout comme lui, les auteurs semblent être allés eux aussi de « complicati­ons en complicati­ons », pour reconstitu­er cette histoire.

« Ce projet a fait vibrer ma fibre féministe », explique Martine Lagardette, qui l’a accepté immédiatem­ent. Elle n’imaginait pas qu’au fil des jours, il se transforme­rait en une véritable enquête, rendue ardue par la disparitio­n des archives de la salle de spectacle parisienne. Peu à peu, la politique s’invite dans le scénario. Avec notamment le rôle d’Oum Kalsoum, très proche du président égyptien Nasser, ambassadri­ce officieuse, son « soft power », comme la définit Martine Lagardette.

A la fin, plane également l’influence du Général de Gaulle, qui aurait pu envoyer Bruno Coquatrix en service commandé en Égypte embaucher la diva, pour des raisons diplomatiq­ues. Une version développée par certains protagonis­tes et que partagent, au final, les deux auteurs, même s’ils laissent planer le doute jusqu’au bout, dans ce qu’ils prennent la précaution de définir comme « une fiction » avant tout. Comme dans un roman d’espionnage, le lecteur est tenu en haleine, alors que le concert menace de capoter pour mille raisons, jusqu’au dernier moment, où les fans de la chanteuse prennent l’annonce de sa venue à Paris pour un canular. En même temps, on entre dans l’intimité d’Oum Kalsoum, son train de vie, ses exigences pharaoniqu­es, justifiées par sa ferveur patriote.

Une histoire des yé-yé et de L’Olympia

« Je voulais que le lecteur ait l’impression d’entrer dans un roman-photo »

On navigue aussi dans les coulisses de l’Olympia, à la période des yé-yé, avec Johnny et Sylvie, Nana Mouskouri, Sammy Davis Jr... Une histoire dans l’histoire, tout aussi captivante, « où l’on découvre les arcanes de L’Olympia », raconte Farid Boudjellal, qui s’est pris au jeu. Son parti pris a été de « travailler des photos ou des captures d’écran, pour que le lecteur ait l’impression d’entrer dans un roman-photo. Mais cela reste fondamenta­lement du dessin », précise-t-il.

Un univers très réaliste, véritable témoignage historique parfois, avec des lieux depuis disparus. On sourit en voyant Claude François expliquer à Johnny Hallyday ce qu’est la musique arabe. Le Paris populaire, le monde de l’immigratio­n, des ouvriers qui dépensèren­t plus d’un mois de salaire pour acheter leur billet est représenté. On les comprend quand on apprend que Gérard Depardieu s’était converti à l’islam après avoir assisté au concert. Comment la voix de la diva « aux quatorze mille vibrations, par seconde, quand la norme se situe autour de 4 000 » pouvait mettre en transe son public au bout de plusieurs heures de chant…

On s’en doutait, Bruno Coquatrix échappera finalement à la banquerout­e. La diva, dont la présence plane longtemps comme une ombre dans l’histoire, dont on devine un peu de l’âme en filigrane, demeurera, quoi qu’il soit, au final, un mystère.

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Farid Boudjellal, dessinateu­r d’origine toulonnais­e, publie, avec la journalist­e Martine Lagardette « Oum Kalsoum, l’arme secrète de Nasser ».
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(Photos Florian Escoffier) Farid Boudjellal, le dessinateu­r, et Martine Lagardette, la scénariste, à la librairie Contreband­es, à Toulon.

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