Stéphane Demoustier « UNE RÉALITÉ QUE TOUT LE MONDE CONNAÎT »
Avec « Borgo », le réalisateur livre un formidable parcours de femme confrontée à la réalité d’un milieu dans lequel elle finit par s’égarer.
Césarisé pour « La Fille au bracelet » en 2021, Stéphane Demoustier revient avec une enquête policière qui est aussi un récit social. L’histoire de Mélissa, surveillante pénitentiaire nouvellement mutée à Borgo, prison corse au régime carcéral particulier.
Entretien avec le réalisateur, venu présenter son film en avant-première au cinéma Le Royal à Toulon.
Inspiré d’un fait divers, “Borgo” nous plonge dans un régime carcéral particulier, le régime ouvert.
Borgo, c’est déjà une particularité en soi. Et le régime ouvert est vraiment l’essence du film. Je n’ai pas enquêté sur le fait divers qui sert de point de départ au scénario mais en revanche, j’ai vraiment enquêté sur la Corse, comment y fonctionne la prison, comment se passent les choses… J’ai recueilli pas mal de témoignages et ce que je montre dans le film c’est le fruit de ces témoignages-là. Ce qui m’intéressait aussi, c’est le fait que cette prison ne ressemble à aucune autre, de la même manière que la Corse au sein du paysage français ne ressemble à aucun autre territoire. Et c’est aussi l’histoire d’une fille qui arrive dans un pays où elle se sent étrangère, et dans son travail, elle a beau être expérimentée, il y a quelque chose de dépaysant pour elle de constater que ça ne fonctionne pas comme ailleurs.
Un fonctionnement dans lequel elle se laisse happer presque malgré elle…
Ça ne l’exonère pas de tort, mais c’est certain qu’elle glisse sans s’en rendre compte. Et à un moment donné, il est trop tard, elle est prise dans un engrenage. Je ne voulais jamais la regarder de haut, je voulais qu’on comprenne ses raisons sans lui donner raison. Je voulais à chaque fois me dire que j’aurais pu faire comme elle. C’était important pour moi qu’on ne pense pas qu’elle est un monstre. C’est quelqu’un qui n’était pas forcément destiné à frayer avec le grand banditisme, qui n’a pas un mauvais fond et qui pourtant va être emportée.
Dans ce film, vous jouez aussi sur deux temporalités.
Ça, c’est un élément du scénario qui est venu dès le début, pour le coup. Vraiment, dès l’écriture, j’avais l’idée de ces deux narrations. C’est assez inhabituel, mais certains spectateurs s’en rendent compte assez vite, d’autres non… Je pense que le film ne manque pas d’intérêt dans les deux cas de figure. Ça ne change rien à l’expérience. Moi j’aime plutôt bien le fait que ce soit inattendu et que ça rend le spectateur acteur.
Au-delà du polar, c’est aussi un film inscrit dans une réalité sociale.
Mélissa incarne une profession assez subalterne, mal reconnue. On voit beaucoup d’hommes dans les prisons dans les films. Or il y a beaucoup de femmes dans la pénitentiaire. Mélissa raconte quelque chose de la condition de ses femmes qui sont parfois rendues vulnérables par le contexte dans lequel elles évoluent, ou par des conditions économiques qui sont les leurs. Ce sont des métiers complètement invisibilisés.
Ce film est aussi porté par votre actrice, Hafsia Herzi. Comment l’avezvous choisie ?
Je l’avais vu dans des rôles de jeune femme essentiellement. Je me disais que ça serait intéressant pour elle de jouer un rôle de femme qui commence à être éprouvée par la vie, fatiguée, mais qui pourrait aussi tenir tête à 200 détenus. Et je ne voyais aucune actrice à part elle. Je trouve qu’elle a suffisamment de caractère, de tempérament, de force pour être crédible. Elle a un truc très authentique. Il y a bien sûr des comédiens professionnels mais je savais aussi que j’allais avoir beaucoup d’acteurs qui ne le seraient pas [le réal’ a organisé un immense casting sauvage en Corse pour trouver ses détenus notamment Ndlr] ils auraient une forme de “vérité” à jouer et face à eux, il fallait une actrice qui ne jure pas avec cette sincérité-là. J’avais le pressentiment qu’avec Hafsia Herzi, ce serait le cas et ça s’est vérifié.
« Je voulais à chaque fois me dire que j’aurais pu faire comme elle »
Vous avez présenté le film en Corse. Comment avez-vous été reçu ?
Il y a eu une alerte à la bombe... Mais les Corses qui ont vu le film l’ont trouvé très bien. J’ai décrit une réalité que tout le monde connaît, admet. J’ai adoré filmer les détenus par exemple. Je ne les ai jamais filmés de haut. J’ai essayé de comprendre comment ils fonctionnaient, comment ils vivaient. J’ai voulu porter un regard à la fois distancié par rapport aux faits divers, respectueux par rapport à la Corse – une île que j’aime comme beaucoup de monde – et bienveillant. Je peux le montrer sans me cacher.