Monaco-Matin

Souvenirs de Moulinet : à la mémoire des déportés

En septembre prochain, cela fera 80 ans que la population moulinoise a été déportée. Après cet épisode, déracinés de leur lieu de vie, faisant face à un village détruit, certains témoignent.

- LISA RICORDI lricordi@nicematin.fr

Bientôt 80 ans. Le 29 septembre 1944, les habitants du petit village de Moulinet sont contraints de quitter leur lieu de vie sous la menace allemande. Un épisode qui marquera à jamais la population, soucieuse de transmettr­e cet héritage historique pour en perpétuer la mémoire. Dans un café, nous retrouvons Maurice et Nicole Fayet, tous deux Moulinois ayant subi la déportatio­n pendant la guerre de 1940. Maurice, qui fut adjoint au maire de 1977 à 2008, était alors âgé de 2 ans et demi, Nicole, elle, avait seulement un an. Sortant des archives de sa chemise en plastique bleue, il retrace la chronologi­e de cet épisode bouleversa­nt.

« Sans repères »

Un premier exil avait été ordonné le 13 septembre. Il fut arrêté en route, sous le feu des alliés. «Les gens ont dû dormir au froid, dans des granges, sans repères » .Le 29 septembre, un nouveau déplacemen­t s’opère.

La grande colonne (rang de personnes placées les unes derrière les autres en mouvement N.D.L.R) prend la direction de Cuneo. Le groupe réunit de jeunes enfants (la plus jeune, une certaine Louisette, était née le 27 septembre, soit deux jours avant le départ forcé), les plus anciens ont plus de 80 ans. Au moment de passer par le Col de Brouis après Sospel, donnant l’impression d’être une troupe allemande, la colonne, est bombardée et divisée en deux. Cette attaque a fait plusieurs victimes Arrivés à Cuneo, les «458

déportés » élisent domicile dans la caserne Carlo-Emmanuelle II, qui n’existe plus aujourd’hui (2). Sur place, les villageois, arrachés à leurs racines, vivent dans des conditions précaires (3), certains contracten­t des maladies. Et sont rongés par le mal du village.

Un destin brisé

Avant que tout bascule, dans les années 30, Moulinet rayonne et s’inscrit comme un véritable village

de réunions récréative­s pour les diplomates et haut dignitaire­s de la région.

Véritable eldorado, proche de la Suisse et de l’Italie, ce petit havre de sérénité séduit et s’érige en lieu d’animation, de divertisse­ment et de festivités. Plusieurs hôtels accueillen­t les visiteurs, des villas imposantes, la grande place St-Julien vit au rythme des initiative­s locales. Festins, spectacles, concerts.. La déportatio­n de 1944 va mettre un véritable coup d’arrêt à cet élan prospère.

Ce n’est qu’à partir d’avril 1945 que certains Moulinois peuvent enfin rejoindre Nice, grâce à la ligne ferroviair­e. À leur retour, ils trouvent « un village dévasté, en ruine, qui n’a plus rien de ce qu’ils ont connu ». Il faudra quelque temps avant que l’endroit soit déminé et réhabilité pour accueillir sa population. Beaucoup ne reviendron­t jamais, préférant tourner la page définitive­ment, ne supportant pas de voir leur ancien lieu de vie réduit en poussière par les bombardeme­nts.

Un devoir de mémoire

Alors qu’il vivait à Sospel avec sa famille, Maurice se souvient de l’occupation des Américains sur la commune.« Pendant l’occupation, ils vivaient à Sospel, et notamment chez les villageois en capacité de les héberger. Nous avions une grande maison, donc des soldats étaient dans ma cuisine. Petit, j’ai essayé de voler un chewing-gum dans la poche du cuisinier. Il a voulu me suspendre au-dessus du lavabo. Ma mère est arrivée apeurée. Au final j’ai eu mes chewing-gums », sourit le Moulinois.

L’histoire de Moulinet est d’une richesse infinie. Le devoir de mémoire de ce territoire a beaucoup été affecté par la perte et l’éparpillem­ent de documents officiels. Mais de nombreux acteurs ont oeuvré pour perpétuer ces images passées (4). (1) Durant la déportatio­n de Moulinet, 21 personnes ont perdu la vie.

(2) À cet emplacemen­t, une stèle a été érigée en mémoire des déportés Moulinois.

(3) Sur les 444 personnes qui se trouvaient à Cuneo, 431 furent reparties dans 45 « chambres », de 5 à 17 places.

(4) Maurice Fayet et sa femme Nicole ont constitué un petit Musée au sein de la Chapelle Saint-Antoine, en recueillan­t des clichés et des outils auprès des locaux. De nombreux écrits retraçant l’histoire de la déportatio­n ont été publiés à l’image de Pascal Diana qui a, entre autres, retranscri­t le journal intime de Michèle Deverdun, une moulinoise racontant la déportatio­n jour après jour.

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(Photo Jean-François Ottonello). La chapelle de la Ménour est emblématiq­ue du petit village de Moulinet.

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