Monaco-Matin

Hymne à la vie d’une mère qui a perdu trois enfants

Une fille et deux fils décédés. De ces tragédies, l’ex-enseignant­e niçoise Arlette Bertolo en a tiré un livre. Un voyage dans l’impensable d’où elle lance un appel à aimer la vie, malgré l’horreur.

- A mort d’un Toupidek. CHRISTINE RINAUDO crinaudo@nicematin.fr

LLivre publié aux Éditions Maïa (18 euros). Un peu plus de 120 pages, dont on ressort le coeur à l’envers, l’âme en charpie, les codes inversés. La mort fauchant trois enfants d’une même mère. Cette mère dévastée, lacérée, pulvérisée, qui lance quand même son hymne à la vie et à l’amour à propos du départ d’un de ses fils de 5 ans. Hydrocuté dans la piscine. Parti sur l’autre rive après un long coma. Un témoignage déchirant. Un plaidoyer en faveur de l’euthanasie. Nous avons rencontré cette mère. Arlette Bertolo, Niçoise de 82 ans habitant L’Abadie, jadis enseignant­e puis documental­iste dans divers établissem­ents de Contes, Antibes, La Trinité, Nice... Jolie, pimpante, solaire malgré tout. Venue à notre agence en compagnie de son fils, Emmanuel, 57 ans, unique survivant d’une fratrie décimée. Interview surréalist­e... Valérie. Décédée il y a 50 ans à l’âge de 12 ans d’une tumeur au cerveau. Olivier. Envolé à l’orée de ses 5 ans, il y a quarantequ­atre années. Romain, pasteur, mort d’un cancer à 40 ans, il y a deux ans. «Je suis toujours là, souffle Arlette et je me dis que les feuilles de platanes qui s’agitent,

c’est beau... » Maman éperdue. Femme perdue. Veuve en plus : Henri Gavache, son époux, a rejoint ses enfants voilà sept ans. La feuille de route terrestre d’Arlette donne le frisson.

« J’ai eu besoin d’écrire »

Et ce Toupidek alors, c’est qui, c’est quoi ? Un lutin espiègle. Comme l’était Olivier, ange blond toujours accroché à sa maman. Vif, intelligen­t, affectueux. «Il avait 4 ans et 9 mois, lorsqu’il est tombé dans la piscine. Hydrocuté. Je croyais avoir tout prévu. On lui avait appris à nager. Il manquait la clôture... Je ne sais pas s’il est tombé accidentel­lement... Sur le rebord du bassin, il y avait un oeuf pondu par la poule qu’il avait voulue à Pâques à la place du chocolat. Il a dû aller le prendre au poulailler. A-t-il tapé de la tête ? On n’a jamais su... Il n’y avait pas d’eau dans ses poumons... » Le bambin est resté soixante-huit jours dans le coma. À l’hôpital de Cimiez. « Quand je montais le voir, j’avais besoin d’écrire. À ses côtés. Sur des pelures de machines à écrire. De 14 à 20 heures. Je racontais sa courte vie, la réalité brute de l’hôpital, les espoirs éphémères, le désespoir... C’était terrible. Je me sentais coupable et impuissant­e... Les docteurs ont facilité son départ. Je n’ai rien demandé. J’ai écrit : je préfère le perdre, mais l’avoir connu... »

Enterrer le chagrin

Et puis, le voile opaque. Tendu sur plusieurs décennies. Fendu, voilà un an : Romain, le plus jeune des enfants, était mort quelques mois plus tôt. «Je cherchais des documents dans un tiroir, où il rangeait des papiers. Je suis tombée sur une chemise cartonnée. À l’intérieur, il y avait mes feuillets. Presque en lambeaux. Numérotés, comme si à l’époque, je voulais qu’il y ait un lien entre eux. Ces feuillets, personne ne les avait vus. J’ai commencé à les lire. J’ai retrouvé Olivier, dont on ne parlait jamais. Le chagrin fut tellement intolérabl­e, que j’avais voulu oublier. Et là, tout remontait, mais c’était comme si ce chagrin se dédoublait, partagé entre Olivier et Romain. Quelque part, mieux équilibré... Et puis, j’ai renoué avec de jolies choses, de bons souvenirs d’Olivier, qui il était vraiment. J’ai tout retapé sur ma tablette. J’ai relu. J’ai eu un eczéma de la tête aux pieds. Emmanuel a découvert le texte, dans lequel il est souvent cité. Lui et Olivier étaient très soudés. »

Aider d’autres parents

Le manuscrit est soumis à une libraire de Nice. « Bouleversé­e, elle m’a conseillé de le publier. Je l’ai fait. Pour que l’hôpital soit au courant. Pour dire merci aux équipes. Pour aider d’autres parents. » Emmanuel écoute. Intervient pudiquemen­t : « C’est aussi un appel pour les gens dans la souffrance, pour leur dire qu’on peut trouver de la beauté même dans la pire des noirceurs. »

 ?? (Photo Ch. R.) ?? Arlette Bertolo-Gavache et son fils, désormais unique, Emmanuel : ils sourient malgré tout à l’existence. En mémoire d’un Toupidek, qui était la joie de vivre...
(Photo Ch. R.) Arlette Bertolo-Gavache et son fils, désormais unique, Emmanuel : ils sourient malgré tout à l’existence. En mémoire d’un Toupidek, qui était la joie de vivre...

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