La semaine vagabonde de Denis Carreaux
Lundi
Pivot l’influenceur. C’était bien avant l’ère des youtubeurs aux 200 mots de vocabulaire, des tiktokeurs décérébrés et des instagrammeuses aux bouches en canard. Lunettes à la main, Bescherelle en bandoulière, Bernard Pivot était un influenceur avant l’heure. En recevant écrivains célèbres et monstres sacrés sur le plateau d’« Apostrophes », en donnant la parole pour la première fois à de jeunes auteurs, cet amoureux des mots ne se contentait pas de faire de la télé chaque vendredi à 21 h 40.
Il nous donnait aussi envie de nous précipiter dès le lendemain dans la première librairie venue pour découvrir ce futur best-seller, cette pépite ou ce premier roman. À la fois influenceur et prescripteur, Pivot faisait vendre. Lecteurs, éditeurs, imprimeurs, écrivains, libraires : avec sa disparition à 89 ans, tous sont orphelins. La télévision aussi, qui n’a jamais vraiment réussi à réinventer le genre pourtant tellement indispensable de l’émission littéraire.
Mardi
Au revoir président. C’est le monde à l’envers. Peu suspect de connivence envers les patrons, Sud Rail y va de sa petite larme à l’annonce du départ du p.-d.g. de la SNCF.
« Ce qui est en train de se passer est complètement injuste », fustige le délégué syndical Fabien Villedieu, stupéfait de voir le gouvernement lâcher Jean-Pierre Farandou, dont le mandat ne sera pas prolongé au-delà des JO. Entre l’État, qui a dû lâcher 35 milliards d’euros pour reprendre la dette de la SNCF en 2018, et celui qui a redressé en moins de cinq ans les comptes de la compagnie, les relations ont totalement déraillé ces dernières semaines. Le premier reproche au p.-d.g. un accord sur les retraites des cheminots beaucoup trop généreux. Le second accuse l’exécutif d’avoir complètement laissé tomber le rail et le fret, dénonçant avec force l’absence de cohérence entre
« l’ambition sur l’environnement et les décisions politiques ».
Un futur ex-président devenu en quelques semaines le premier syndicaliste de la SNCF.
Mercredi
Rêve américain. À côté des frasques de Donald Trump, les batifolages de Bill Clinton et Monica Lewinsky dans le Bureau ovale feraient presque figure de doux enfantillages. Particulièrement cru, le témoignage de l’ex-star du porno Stormy Daniels au procès de l’ex-Président ne fait l’économie d’aucun détail au sujet de cette chaude nuit de l’été 2006 dans un luxueux hôtel du lac Tahoé. Tous les clichés d’un mauvais film sont réunis. L’oeil égrillard du milliardaire, croisant la starlette au détour d’un green. L’invitation à le rejoindre dans sa chambre. Le sexagénaire bedonnant, la mèche en bataille, ouvrant sa porte drapé dans un pyjama de soie. La conversation au cours de laquelle le jeune marié et tout jeune papa compare la star du X à sa fille. L’acte sexuel enfin, vaguement consenti et sans préservatif, avec à la clé l’espoir d’une participation à l’émission de téléréalité de Trump, « The Apprentice ». La promesse n’a jamais été tenue. 130 000 dollars ont été versés pour acheter le silence de l’actrice à la veille de l’élection de 2016. Et dans quelques mois, Donald Trump sera peut-être à nouveau président des États-Unis. Le rêve américain dans toute sa splendeur.
Jeudi
Pomme pourrie. C’est le monde idéal d’Apple. Un monde dans lequel l’intelligence n’est qu’artificielle et où les écrans ont définitivement pris le pouvoir. C’est ce monde que la firme à la pomme a mis en scène dans la publicité de son nouvel iPad. On y voit une énorme presse broyer des instruments de musique, des livres, un tourne-disque. Autant d’objets symbolisant la créativité humaine balayés par une technologie qui entend régler nos vies. Face au tollé provoqué par cette promo à gros sabots, Apple a fait marche arrière. La marque ne diffusera pas à la télé cette publicité censée vanter la finesse de sa nouvelle tablette. Ses communicants se souviendront que la finesse n’est pas seulement une question de millimètres.
Vendredi
Le bonheur est dans le Var. Dans dix ans, dans vingt ans, le siècle prochain, sur la place Jean-Jaurès de Flassans-sur-Issole, on se souviendra de ce fameux vendredi 10 mai 2024. Ce jour où ce coquet village varois de 3 500 âmes est entré dans l’histoire en accueillant la flamme olympique. À Flassans comme à Saint-Raphaël, Brignoles, Toulon, Hyères, La Garde, La Seyne et Les Salles-sur-Verdon, la ferveur était identique. Anonymes ou connus, les porteurs de flamme ont fait frissonner des dizaines de milliers de Varois fiers de leurs sportifs, de leur si beau département et de leur pays. Une fête qui a inondé les rues, rempli les terrasses et distribué du bonheur à tout-va. Des images inoubliables, des souvenirs indélébiles et l’impression de vivre un moment hors du temps, loin des tracas du quotidien. Une parenthèse enchantée sous le plus beau soleil du monde.
Samedi
« Lecteurs, éditeurs, imprimeurs, écrivains, libraires : avec la disparition de Pivot, tous sont orphelins. »
Légendes vivantes. Superbe journée au paradis du sport automobile. Intercalé entre le Grand Prix de Formule E électrique et le Grand Prix de F1, à mi-chemin entre futur et présent, le Grand Prix historique de Monaco est un musée à ciel ouvert. Cet événement unique au monde réunit tous les deux ans des voitures de légende. Des autos d’avant-guerre et des F1. Des V6, des V10, des V12 dépourvus d’électronique. Des odeurs d’huile chaude et des sonorités d’un autre temps. Des pilotes aux tempes argentées, au ventre moins plat que les sportifs de haut niveau qui leur ont succédé, mais au coup de volant intact. Des souvenirs à la pelle comme hier lors de l’hommage à Ayrton Senna. En faisant vivre de telles épreuves à une époque où la course aux dollars modifie la nature profonde du sport auto, l’Automobile Club de Monaco fait figure de gardien du temple. Merci Messieurs. Ne changez rien.