Monaco-Matin

« Xi Jinping est le seul ennemi de la Chine ! »

Pour la sinologue Marie Holzman, la visite du Président chinois en France, pays des droits de l’Homme, est avant tout un moyen pour celui-ci de renforcer sa légitimité.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP

Marie Holzman, écrivain et traductric­e, est une spécialist­e de la Chine contempora­ine et de la dissidence chinoise, qui a enseigné le chinois à Paris. À ses yeux, la visite de Xi Jinping en France avait une visée avant tout stratégiqu­e, avec des vues personnell­es. Si quelques assoupliss­ements peuvent être espérés sur le terrain économique, il n’y a en revanche, selon cette spécialist­e, guère d’espoir à nourrir concernant l’Ukraine.

Le voyage de Xi Jinping en France peut-il permettre d’améliorer les relations économique­s avec l’Europe ?

C’est la bonne façon de s’interroger que de mentionner d’abord l’Europe, car le problème est là. J’ai beaucoup apprécié le fait qu’Emmanuel Macron ait associé [la présidente de la Commission européenne, Ndlr] Ursula von der Leyen aux entretiens avec Xi Jinping, car il a ainsi montré que le marché européen existait, et a bien fait comprendre au Président chinois qu’il ne fallait pas qu’il s’amuse à les diviser en faisant jouer la concurrenc­e entre les uns et les autres. Malheureus­ement, cette concurrenc­e existe : on le voit bien avec les Allemands, qui se sont précipités à Pékin pour signer des contrats derrière notre dos. C’est leur liberté, mais c’est vraiment très regrettabl­e. Le Président français a tenté par de nombreuses façons de faire passer le message que nous étions dans un déficit commercial abyssal – on arrive au même genre de déficit que celui des États-Unis avec la Chine ! – et qu’il ne fallait pas que Xi Jinping nous fasse passer tous ses surplus, en nous inondant par exemple avec ses véhicules électrique­s. Mais les voitures sont déjà dans les ports, prêtes à être déversées sur l’Europe…

Il ne faut donc pas attendre de miracle ?

Il faut bien comprendre que Xi Jinping est tout sauf un intellectu­el. C’est un stratège. La question qui se pose, c’est comment faire entendre quelque chose à cette espèce de « nounours grassouill­et et souriant » et le faire réagir… Je ne connais personne capable de faire ça. Il garde toujours sa placidité. Emmanuel Macron ne lui a pas offert une bouteille de cognac par hasard : le produit est menacé là-bas, en réprimande à nos protestati­ons sur les voitures électrique­s. C’est un peu affreux de le dire, mais la seule stratégie des Chinois, c’est le dumping ! C’est-à-dire que l’on propose des

prix très bas avec des subvention­s d’État très élevées. Une fois que le marché est ainsi cassé, on peut le dominer. C’est ce qui s’est passé avec les panneaux solaires.

On a plus de 90 % de panneaux chinois en Europe. Or, la Chine ne respecte pas les normes de l’Organisati­on mondiale du commerce. Le comble, c’est que nous sommes déjà trop imbriqués pour pouvoir les envoyer promener. On l’a bien vu avec les médicament­s, fabriqués soit en Inde soit en Chine. Le temps d’avoir nos propres laboratoir­es, nous devons bien acheter leurs produits…

Quel est, selon vous, l’objectif premier de Xi Jinping en venant en France ?

Il avait, à mon avis, deux objectifs. Le premier est un prétexte, à savoir les 60 ans des relations diplomatiq­ues franco-chinoises. Cela lui permet de faire passer beaucoup de choses un peu difficiles à avaler. L’autre aspect, auquel on ne pense pas toujours, c’est que les dictateurs ont besoin de légitimité. Lorsqu’un dictateur est reçu par le président de la France, même si la France, ce n’est pas les États-Unis, ça compte toujours beaucoup dans l’échelle de valeur du prestige.

Pour la presse chinoise, ce voyage en France est très important, car il leur permet de monter comment Xi Jinping est « merveilleu­sement » accueilli au pays des droits de l’Homme. Des Chinois, avec leurs petits drapeaux rouges, ont d’ailleurs été amenés en car par l’ambassade de Chine pour le saluer. C’est aussi pour cela que Xi Jinping avait demandé à être reçu à Versailles, au nom du prestige de Louis XIV. Macron a dit non. Tout cela est un jeu d’ombres chinoises.

Comment la Chine perçoit-elle la France et les Français ?

On ne peut pas dire « la » Chine. Il y a le régime chinois et la propagande, mais il y a des Chinois qui continuent de nourrir des espoirs, de plus en plus ténus, sur la France. Ils pensent qu’il y aura une pression sur Xi Jinping au nom des droits de l’Homme. Ceux-là ont été tellement souvent désillusio­nnés qu’ils sont rares. Malgré tout, la France conserve un certain prestige, et l’on sait qu’on y soutient les Tibétains et les Ouïgours. Il faut aussi savoir

que lorsqu’il y a des grèves en France, il y a une grosse couverture médiatique. Cela permet au régime de dire que la France, donc la démocratie, c’est le chaos, quand d’autres saluent le droit qu’ont les Français de se révolter sans que les canons viennent leur tirer dessus.

Les intellectu­els qui ont lu Victor Hugo ont une grande tendresse pour notre pays. Enfin, il ne faut pas oublier le luxe. Les petites minettes chinoises veulent toutes du Dior, du Chanel, etc., et elles savent très bien que c’est français.

Le Président chinois s’est engagé à ne pas livrer d’armes à la Russie. Comment doit-on l’interpréte­r ?

Il livre des composants électroniq­ues, qui ne sont pas des armes… Donc il peut faire cette promesse qui ne rime à rien !

Son appel à l’instaurati­on d’une trêve durant les Jeux olympiques peut-il être perçu comme un ordre déguisé à Moscou ?

On peut espérer cela. Mais cela peut être aussi un rappel pour dire : « Nous faisons partie du jeu olympique. » Avant les JO de 2008 à Pékin, les Chinois avaient demandé aux Russes de ne pas envahir la Géorgie pendant les compétitio­ns. Poutine a attaqué dès le lendemain de la fin des Jeux… Pour ceux d’hiver 2022, toujours en Chine, il a été demandé à Poutine d’attendre la fin avant d’attaquer l’Ukraine. Ce qu’il a fait à nouveau.

Ce qui tend à démontrer que Poutine est aux ordres de Xi Jinping ?

Ce n’est pas tout à fait cela.

Ces deux-là sont mariés à la vie à la mort, car ils ont en commun le regret absolu de l’effondreme­nt du bloc communiste. Les Chinois tiennent absolument à ce qu’un bloc existe encore. Poutine tentant de le recréer, en soutenant en quelque sorte les valeurs de la dictature communiste, Xi Jinping ne se sent pas seul. Leur légitimité tient beaucoup à la volonté féroce de Poutine de maintenir ce climat de violence. Si l’un ou l’autre s’effondre, les deux s’effondrent. La Chine sans la Russie dans ce bloc anti-Occident serait vraiment très démunie. Poutine a attaqué l’Ukraine pour garder le pouvoir, au nom d’un grand nationalis­me, mais il ne pensait pas que les choses se passeraien­t comme ça. En Chine, l’économie va mal, la majorité de la population est pauvre, il n’y a plus de liberté, les professeur­s sont menacés et les intellectu­els sont évincés… Or pour se maintenir, un dictateur doit préserver deux légitimité­s : diplomatiq­ue, pour être reçu dans le monde, et économique, pour pouvoir promettre un avenir meilleur.

Peut-on imaginer un jour une révolte intérieure en Chine ?

On peut imaginer, comme en Russie, une implosion. Dans ce type de régime, seule l’implosion est envisageab­le, ou un putsch militaire. Mais en Chine, l’armée est très corrompue et très bien tenue par le pouvoir. Les Chinois ont très peur de la guerre civile. Ils n’aiment pas Xi Jinping, mais pour le moment ils n’ont pas mieux. Le seul ennemi de la Chine, ce ne sont pas les États-Unis, mais Xi Jinping !

“Les Chinois ont très peur de la guerre civile”

“Poutine et Xi Jinping sont mariés à la vie à la mort”

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(Photo Simon Holzman) « Russie et Chine ont le regret absolu de l’effondreme­nt du bloc communiste. »

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