Monaco-Matin

Sensibilit­és partagées À LA FONDATION HARTUNGBER­GMAN D’ANTIBES

Jusqu’au 27 septembre 2024, l’exposition « Le partage du sensible » juxtapose les créations de l’artiste Terry Haas à celles de ses amis Hans Hartung et Anna-Eva Bergman. Envoûtant.

- LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

Hans Hartung et Anna-Eva Bergman. Deux figures incontourn­ables de l’art moderne, et un couple inspirant s’il en est. Une histoire sur laquelle on ne peut faire l’impasse, comme on le vérifiera lors de la visite, si l’on veut pénétrer réellement les méandres de la fondation éponyme. Créé en 1994 à Antibes, ce lieu d’exception, maison-atelier située au coeur d’une oliveraie, est ouvert pour la deuxième année consécutiv­e au grand public, du 15 avril au 27 septembre 2024. Autour, cette fois, d’une nouvelle exposition au titre évocateur : « Le partage du sensible. » Revenons-en au couple Hartung-Bergman : mariés une première fois en 1929, trois mois après leur première rencontre-coup de foudre à Paris, (où le premier, originaire de Leipzig en Allemagne, et la seconde de Stockholm tout en étant Norvégienn­e, étaient étudiants), Hans et Anna-Eva ont divorcé en 1938... avant de se remarier en 1957.

Anna-Eva et Terry, mises à l’écart par les hommes

En ayant entre-temps vécu à Minorque, à une époque où cette île, loin de constituer une destinatio­n touristiqu­e ultra-prisée, leur était au contraire apparue comme l’écrin parfait pour abriter leur relation incandesce­nte. Tout en s’adonnant en toute tranquilli­té à leur art.

En apparence, du moins, puisqu’Hans n’avait pas tardé à se retrouver accusé d’espionnage par la population locale ! Expulsés de leur Eden des Baléares, Anna-Eva, de santé fragile était retournée en Allemagne pour se faire opérer, tandis qu’Hans avait choisi d’aller à Paris pour y finir ses études. Lorsque la seconde guerre mondiale éclate, cet esprit libre et profondéme­nt opposé au nazisme s’engage dans la Légion étrangère côté français. Il en reviendra avec une jambe en moins, ce qui ne l’empêchera pas de se réinventer pour continuer à donner libre cours à sa créativité artistique. Notamment, comme on le découvre dans son atelier resté dans son jus, grâce à l’utilisatio­n de pistolets de peinture, de pinceaux multi-têtes créés par ses soins ou de branchages détournés. C’est en 1951 qu’Anna-Eva Bergman rencontre en Norvège l’artiste tchèque Terry Hass, dont le nom s’ajoute pour la première fois à une exposition à la Fondation. Née Thérésa Goldman en 1923 en Tchécoslov­aquie, elle a connu, tout comme le couple HartungBer­gman, les vicissitud­es de l’Histoire. Juive, elle fuit les nazis qui assassiner­ont son père et pâtit de son genre dans un milieu très masculin. Un premier apparentem­ent d’ordre biographiq­ue voire moral. Car tout comme Terry Haass, disparue en 2016, AnnaEva Bergman, reconsidér­ée depuis quelques années, n’a guère eu de son vivant d’artistes qui aient manifesté leur admiration à son endroit. Excepté Hans Hartung, décédé en 1989, Terry Haass fut la seule à mener des hommages à Anna-Eva Bergman, morte en 1987, sous la forme d’un portfolio composé de collages lithograph­iés et d’un sublime monument, au Centre d’art Henie-Onstad d’Høvikodden à Oslo.

Inspiratio­n mutuelle

Ce qui est le plus prégnant dans cette exposition, présentée dans des salles qui étaient autrefois les ateliers du couple, c’est à quel point ces trois artistes se sont mutuelleme­nt inspirés. Un « partage du sensible » (une expression empruntée au philosophe Jacques Rancière) restitué ici par d’innombrabl­es documents, lettres, photograph­ies, catalogues. L’oeuvre de Terry Haas, très riche et très diverse, est dominée par une remarquabl­e pratique de l’estampe et de la sculpture, et par un langage abstractis­ant qui ne se coupe jamais complèteme­nt des motifs. Dans le vocabulair­e des formes d’Anna-Eva Bergman comme de Terry on retrouve l’archéologi­e, la mythologie et la nature. Qu’elle soit terrestre ou céleste, avec l’omniprésen­ce de météorites et de planètes dans leurs créations.

nd La première, comme on le constate dans l’exposition, utilisait beaucoup les feuilles de métal pour réfléchir la lumière, tandis que la seconde travaillai­t l’acier et le cuivre pour créer ses estampes.

Complicité et respect

Ces trois artistes se sont mutuelleme­nt inspirés, du point de vue technique comme du choix des motifs

Avec Hans Hartung, c’est d’un point de vue technique que Terry Haas présente des similitude­s : comme lui, elle recourt en effet aux branchages et au grattage, notamment. Dans ces affinités électives qui unirent Terry, Anna-Eva et Hans, il y eut, comme en témoignent leurs oeuvres juxtaposée­s dans cette expo et les photos prises à Antibes ou ailleurs, une grande complicité nimbée de respect. Un partage du sensible venu jusqu’à nous grâce à une donation issue de la succession de Terry Haass et à l’apport de Christian Manuel, médecin et exécuteur testamenta­ire de cette dernière. Ainsi que de Christine Lamothe, experte de Bergman à la Fondation. Deux intimes de cette femme d’exception que fût Terry Haas, à l’instar d’Anna-Eva Bergman. Et de son âme soeur Hans Hartung.

 ?? (Photograph­ie Hans Hartung) ?? Portrait de Terry Haas, 1984, Antibes, épreuve gélatino-argentique, 33,4 x 16,2 cm.
(Photograph­ie Hans Hartung) Portrait de Terry Haas, 1984, Antibes, épreuve gélatino-argentique, 33,4 x 16,2 cm.
 ?? (Revue K) ?? Terry Haas, Fragments of Spitsberge­n, 2007, lithograph­ie en couleurs en hommage à Anna-Eva Bergman.
(Revue K) Terry Haas, Fragments of Spitsberge­n, 2007, lithograph­ie en couleurs en hommage à Anna-Eva Bergman.
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Portrait d’ Bergman et d’Hans Hartung à Leucate, 1929. (Photograph­e inconnu)

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