Monaco-Matin

Sur les traces des gladiateur­s

Émerveillé par les héros des années 70 et 80 qui sillonnaie­nt son jardin d’enfant, le gentleman driver monégasque Nicolas Matile réalise son rêve à fond. En cravachant deux F1 anciennes...

- Texte : Gil LÉON Photos : Jean-François OTTONELLO

C’est un rêve qu’il caressait depuis sa plus tendre enfance bercée par les vocalises des Formule 1 tutoyant la limite entre ciel et mer, sur un fil, sans filet. « À l’époque, on pouvait presque toucher les pilotes, les voitures » , raconte Nicolas Matile. « Gamin, j’étais fasciné par ce spectacle son et lumière incomparab­le. À 12 ou 13 ans, j’ai dit à ma mère que je voulais devenir pilote. Refus catégoriqu­e ! Tant pis. Je savais que la flamme ne s’éteindrait pas. Que plus tard, quand je serai grand, je m’amuserai avec un volant ». De là à imaginer cravacher la cavalerie d’une F1 ici, chez lui, il y avait un pas. Et pourtant... Après 2021 et 2022, à 58 ans, le voilà bel et bien qui passe la troisième sur la piste du Grand Prix Historique. Plutôt deux fois qu’une car il saute d’un baquet à l’autre pour remonter le temps, tantôt à bord d’une Matra MS120 B de 1971 (série D), tantôt au volant d’une March 771 de 1977 (série F).

Du karting à la Matra de Beltoise Une parenthèse enchantée pour cet entreprene­ur monégasque conduisant notamment le groupe Narmino - fleuriste et décorateur -, maison familiale enracinée en Principaut­é depuis 1927, dont la trajectoir­e de gentleman driver a commencé sur le tard. « D’abord un peu de karting, des track days, comme tout le monde, et puis j’ai fait la connaissan­ce de Sébastien Boulet (le patron de l’écurie varoise Zig-Zag, ndlr) au circuit du Luc. Je me suis alors lancé en Formule Renault. Une super autoécole. Ô combien formatrice, parce qu’elle ne prévient pas et elle ne pardonne rien. On a ensuite enclenché la vitesse supérieure au sein de la série BOSS GP, avec une monoplace A1 GP de 550 chevaux. L’équivalent d’une Formule 2. »

Jusqu’au jour où se présente l’occasion d’acquérir l’une des anciennes Matra de Jean-Pierre Beltoise. «Sébastien assurait la maintenanc­e de cette fabuleuse F1 qui se trouvait à deux pas de ses ateliers. Elle n’avait pas été restaurée dans les règles de l’art. Il fallait refaire le V12. Mission difficile mais pas impossible pour le départemen­t moteur d’Oreca qui a relevé le défi. »

Trois petits tours et puis... « le Graal »

Le rêve devient ainsi réalité il y a trois ans. Un baptême du feu qu’il n’oubliera pas de sitôt, même si... « Le dimanche, la course n’avait pas duré longtemps. Trois petits tours, c’est tout ! Transmissi­on cassée. Je me souviens de la mine déconfite de Sébastien. Moi, j’étais aux anges. Sur un nuage. Sourire taille banane. Je venais de toucher le Graal. Quel frisson ! C’est là que je lui ai dit : ‘‘On va acheter une deuxième F1 pour aller au bout’’. Finalement, j’ai jeté mon dévolu sur cette March 771 jadis pilotée par Ian Scheckter (le frère de Jody Scheckter, champion du monde 1979 et double vainqueur du GP de Monaco). Un mécano anglais qui bossait chez McLaren en ce temps-là nous l’a préparée aux petits oignons. De quoi se régaler... »

Pour lui, peu importe le classement. Seul le plaisir compte. Savourer l’instant présent à fond. « Je ne roule pas pour devenir champion du monde, comme certains. Zéro prise de risque. Cette année, il n’y a que deux échéances : Le Castellet (6e Grand Prix de France Historique, le mois dernier) et Monaco. Des moments rares. Autant en profiter... »

« Un cheval fou qui vous fait suer »

Quand on lui demande ce qu’il ressent en sillonnant de la sorte son jardin d’enfant, Nicolas Matile démarre au quart de tour. Carrément intarissab­le. Quasiment inarrêtabl­e. « J’ai écumé pas mal de pistes en Europe. Franchemen­t, sans chauvinism­e aucun, Monaco, c’est le plus beau circuit du monde. Le challenge suprême. A fortiori avec une F1 ancienne comme la Matra. Un cheval fou qui vous fait suer, croyez-moi. Tenez, au début, je craignais surtout l’enchaîneme­nt de la Piscine. Finalement, il s’avère bien moins compliqué à négocier que celui du Casino, avec sa fameuse bosse qui vous catapulte dans la descente vers Mirabeau. Et que dire du tunnel ? Ce mur blanc aimante tellement le regard. Il vous obnubile. Au fil des tours, vous le voyez de plus en plus haut. Vous avez l’impression que c’est la muraille de Chine. Hallucinan­t ! D’ailleurs, j’en avais discuté avec René Arnoux en 2021. Quarante ans après, il se demandait comment lui et les autres s’y prenaient pour avaler cette courbe au taquet, pied droit soudé. Les pilotes des années 60, 70, 80, c’étaient vraiment des gladiateur­s ! »

Paroles d’un passionné comblé qui ne se lassera jamais d’enquiller les tours de manège sur leurs traces...

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Nicolas Matile : une Matra (ci-dessus) et une March (ci-contre) pour savourer l’instant présent à fond sur « le plus beau circuit du monde ».
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