Monaco-Matin

Catherine Frot NOUS RÉPOND SANS FARD

« Miséricord­e », d’Alain Guiraudie, a été présenté lundi soir à Cannes. Réflexion sur le désir et les pulsions, thriller rural mystérieux et retors, il a fait chavirer le coeur des spectateur­s présents dans la salle.

- FÉLICIEN CASSAN fcassan@nicematin.fr

Dans le très beau « Miséricord­e », du réalisateu­r aveyronnai­s Alain Guiraudie (« L’inconnu du lac », « Rester vertical »…), Catherine Frot joue la veuve d’un boulanger de campagne, qui va accueillir chez elle son ancien apprenti ambivalent, venu pour l’enterremen­t… et bien décidé à rester. Son arrivée va semer le trouble dans le village.

Le film, présenté lundi dans le cadre de la section Cannes Première, a fait chavirer le coeur des spectateur­s, avec son suspense finement dosé et son humour grivois. Beaucoup de festivalie­rs se sont même demandé pourquoi il ne figurait pas dans la compétitio­n officielle, l’oeuvre d’Alain Guiraudie étant habituée aux projecteur­s de la Croisette.

Le cinéaste de 59 ans a, par exemple, obtenu le Prix de la mise en scène dans la compétitio­n Un Certain regard en 2013. Nouvelle venue dans l’univers gay rural (option gérontophi­lie et crimes mystérieux) de l’électron libre Guiraudie, Catherine Frot a répondu à nos questions en toute simplicité.

Votre personnage est le point focal du film, celui autour duquel

gravite un ensemble de personnage­s masculins déchirés par le désir et par une certaine violence. Comment avez-vous joué cette neutralité ?

Il est vrai que je suis la matrice dans ce film. Comme vous l’avez remarqué, je me retrouve très souvent à table, à picoler du pastis, entouré d’hommes. Mais Alain Guiraudie ne m’a pas vraiment dirigée. L’énergie naturelle du film vient de la justesse dans la façon qu’il a de raconter ses histoires. Son ton est particulie­r, donc en tant qu’actrice, il faut rentrer dans cet univers, s’oublier… Et puis, c’est un travail collectif. Je l’ai vu comme un véritable voyage, un tableau.

Le cinéma d’Alain Guiraudie est résolument gay et éminemment sexuel. Bien que ‘‘Miséricord­e’’ soit marqué par le thème de la frustratio­n (et qu’on ne voit passer, subreptice­ment, que deux pénis dans le film), ça ne vous a pas fait peur ?

Pas du tout. Je sais que c’est un cinéma très marqué… mais j’en ai vu d’autres. (rires) Ce qui est intéressan­t, c’est justement qu’il ne montre presque rien. C’est une histoire de désir et de pulsion de mort, mais cela passe par la pensée avant tout. Je connaissai­s son univers, j’avais beaucoup aimé ‘‘Rester vertical’’. Bon, je n’avais pas tout vu pour être honnête. Je n’aurais peut-être pas joué dans ‘‘L’inconnu du lac’’. (rires) Enfin, ça dépend ce qu’il aurait fallu y faire.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Très bien, même si le contexte

nd géographiq­ue était assez austère. Les paysages ardéchois, dans un froid de canard et sous la pluie, la bicoque dans laquelle on tournait… On a aussi beaucoup filmé de nuit, avec la pleine lune, des ambiances assez extraordin­aires.

Comme tous les films d’Alain Guiraudie, le film paraît simple dans son histoire et dans sa forme, mais très vite, notamment grâce à ces décors minéraux et cette forêt humide, un suspense sinueux s’installe…

J’aime énormément cette pudeur esthétique, c’est très fort. Dans le paysage, et même dans mon personnage, il y a quelque chose de sous-jacent…

On apprend assez tôt que Martine, votre personnage, est au courant de l’amour secret que portait l’ex-apprenti à son défunt mari. Seriez-vous capable de supporter le poids d’un tel secret ?

Je pense que c’est très courant, ce type de secret, dans la vraie vie. Les gens en parlent très peu, mais ça fait partie de l’existence. On sait qu’elle était au courant, mais elle accepte tout de même Jérémie dans sa vie.

Le concept de ‘‘miséricord­e’’, qui donne son titre au film, vient alléger l’intrigue aux trois quarts du film. Est-ce une notion qui vous parle ? Êtes-vous croyante ?

[ATTENTION, SPOILERS] Non, je ne suis pas croyante, mais cette idée d’un curé qui a besoin de se confesser, je trouve ça extraordin­aire. En réalité, ça me parle surtout dans la fiction, au cinéma. Dans la vie, je n’en suis pas sûre. Ça m’a beaucoup touchée, en découvrant le film pour la première fois à Cannes lundi soir. Pour moi, il y a dans cette scène une dimension poétique très forte.

Parlons un peu de Cannes et des Alpes-Maritimes, quel est votre rapport à notre région ?

Je ne suis pas venue si souvent que cela au Festival de Cannes. Mais j’ai récemment joué à Antibes au théâtre, dans ‘‘Lorsque l’enfant paraît’’, et j’ai quelques amis à Nice. Ce qui me plaît ici, c’est cette lumière, qui a attiré tant de peintres. Étant une grande fan de peinture, je vois pourquoi ils sont tous venus ici.

Cannes, c’est avant tout la Mecque du cinéma d’auteur. Vous alternez entre films d’auteur et longs métrages plus populaires, est-ce que vous vivez ces expérience­s de manière différente ?

Oui, complèteme­nt, ce ne sont pas les mêmes enjeux. Toutefois, je crois que je recherche avant tout la qualité. J’ai bien sûr envie que ça soit un peu raffiné, que l’amour du cinéma transparai­sse dans mes rôles. Jouer, c’est donner du plaisir et de la générosité au public. Mais il y a aussi une dimension plus personnell­e : je le dis sans fard, j’aime bien plaire.

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