Monaco-Matin

Daniel Auteuil PAROLE À LA DÉFENSE

Dans « Le Fil » présenté en Séances Spéciales à Cannes, qu’il a écrit et réalisé, notamment au tribunal de Draguignan, Daniel Auteuil incarne un avocat qui s’investit à fond pour sauver un client de la condamnati­on.

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

On le retrouve dans le salonbar du Gray d’Albion, non pas en robe d’avocat, mais dans une sémillante chemise à pois, avec lunettes légèrement fumées. Tenue plus artistique d’un acteur-chanteur que juridique, pour se présenter face à un procureur. Mais Daniel Auteuil n’est pas le dernier à défendre un rôle, un film, surtout lorsque c‘est lui qui l’a écrit et réalisé. Dans « Le Fil » (1), qu’il a scénarisé à partir des mémoires de Me Jean-Yves Moyart (« Le livre de Maître Mo »), il incarne un juriste humaniste, sans illusion après avoir obtenu la relaxe d’un criminel récidivist­e, qui retrouve toute la ferveur de sa vocation lorsqu’il s’agit de « sauver » un père de famille (formidable Grégory Gadebois) accusé du meurtre de sa femme. Intrigue de prétoire qui tient en haleine, dans le décor du tribunal de Draguignan. Mais aussi incursion dans les tréfonds de l’âme, qui réserve son ultime coup de théâtre, bien audelà de l’audience et de la bienséance. À Cannes, l’ancien « sousdoué » devenu monstre sacré, se livre aussi sur son métier, son amour du texte et de la poésie, qu’il traduit aussi en chansons. Un homme simple, affable, cheveux blanchis mais jeune d’esprit, qui se nourrit toujours de passion. Plaidoyer d’un ténor du 7e art.

Pourquoi l’envie de faire

ce film-là ?

Il y a d’abord ce personnage d’avocat, qui a un peu renoncé à son métier, parce qu’il a épuisé ses réserves d’illusions. Et puis, sur un dossier, il repart à l’aventure, avec une extrême empathie. Il y a également tous les éléments liés au procès, et j’ai voulu construire une histoire avec ça.

La caméra insiste sur les gros plans visages, comme pour pénétrer la psychologi­e des protagonis­tes ?

C’est un film de genre dans sa dramaturgi­e, mais je voulais aussi surprendre, avec cette balade dans ma région en Camargue, en jouant sur la photograph­ie, les paysages, mais aussi dans la tête des personnage­s.

Le procès, lui, a été tourné entièremen­t à Draguignan ?

D’abord, le tribunal était libre aux dates de tournage. Ensuite, j’ai adoré l’architectu­re du lieu, très béton des années 1970, hors de tout folklore théâtral. J’y ai assisté moimême à un procès en appel pour viol sur mineur. Et j’ai été très inspiré par ce que j’ai vu en vrai : une intimité glaçante, sans théâtralit­é, où l’on dit des mots terribles que l’on a droit de prononcer. Et puis cette parole, du procureur, des parties civiles, et de l’avocat qui la prend en dernier, en porte-voix de ces gens en marge de la société.

‘‘Le Mensonge’’, cette mini-série sur l’affaire Christian Iacono à Vence, dans laquelle vous avez interprété l’ancien maire accusé, a joué aussi pour ‘‘Le Fil’’ ?

Non, ce n’est pas lié, car j’ai une faculté à l’oubli, même si cette histoire était très forte aussi.

Cannes, où vous avez tout connu (Prix d’interpréta­tion, membre du jury…), l’endroit rêvé pour présenter votre film ?

C’est toujours le plus grand festival du monde. Il y a des influenceu­rs, la mode... mais il reste quand même l’essentiel : le cinéma. C’est la première fois que j’y viens comme metteur en scène, et je connais la valeur de cet honneur.

Le tapis rouge, ça fait aussi partie de la magie du 7e art ?

Pour aller au palais, je ne vais quand même pas passer par derrière ! C’est bien de jouer aussi ce jeu-là, ça fait monter le désir, essentiel au cinéma. Et puis quand on monte les marches, c’est comme au théâtre, on ressent les vibrations du public, des photograph­es. Ce sont cinq minutes d’adrénaline, sympas et joyeuses. Il faut savoir profiter des bonnes choses…

Votre meilleur souvenir ?

Dans l’ancien palais, quand j’ai vu ‘‘Une journée particuliè­re’’ avec mon père, et que l’on a croisé Marcello Mastroiann­i et Sophia Loren, mes idoles.

Votre passage à la réalisatio­n, un besoin ?

À un moment de ma carrière, je l’ai ressenti, mais il faut qu’il soit irrépressi­ble. Il y a aussi ce désir de tout contrôler, non pas pour le pouvoir, mais parce que ma longue vie d’acteur m’a amené à avoir un point de vue sur les choses, que je veux exprimer.

Quel regard sur votre brillante carrière, depuis ‘‘Les Sous-doués’’ ?

« J’ai cessé d’être jeune, mais j’ai gardé en moi cette part d’enfance nécessaire »

Les comédies de Claude Zidi ou Molinaro, ce sont des films qui m’ont fait connaître et que je revendique aussi. Mais j’ai la chance d’avoir évolué vers le chemin que je me suis choisi. Et ce que le succès m’a apporté de mieux, c’est la liberté. À 74 ans, je ne me suis jamais senti aussi libre, il faut bien que l’âge ait un privilège. Mais si j’ai cessé d’être jeune, j’ai néanmoins gardé en moi cette part d’enfance nécessaire pour accomplir toujours mes rêves.

Vous vous considérer­ez comme un homme du Sud ?

Complèteme­nt ! J’ai besoin de cette lumière, et j’y suis revenu. Je me partage entre les Bouches-duRhône et la Corse. Mais je suis aussi faroucheme­nt Parisien, et j’aime bien laisser ma plaque 75 quand je viens, pour les embêter un peu… Et puis j’aime regarder la Méditerran­ée, je suis un Sudiste plus contemplat­if que marin !

 ?? (Photo Sébastien Botella) ?? Daniel Auteuil, un « Sudiste » qui n’a pas le coeur en hiver à Cannes…
(Photo Sébastien Botella) Daniel Auteuil, un « Sudiste » qui n’a pas le coeur en hiver à Cannes…

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