Législatives explosives IL Y A CENT ANS
Les 11 et 25 mai 1924, la France se déchira lors d’élections d’une campagne électorale d’une étonnante violence, débouchant sur la démission du président de la République.
Et dire qu’on se plaint de la dureté de la campagne électorale des Européennes ! Il faut voir comment s’est déroulée, il y a tout juste cent ans, celle des législatives, les 11 et 25 mai 1924. Cette campagne fut d’une étonnante violence. On était encore dans l’après-guerre de 1914. D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, on n’hésitait pas à se traiter de complice avec l’Allemagne, de traître à la patrie.
Les élections furent remportées par le Cartel des gauches, faisant émerger la figure politique d’Édouard Herriot. Les quatre élus du Var faisaient partie du Cartel, étant tous quatre membres de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), Auguste Raynaud, Victor Brémond, Hubert Carmagnolle, et Pierre Renaudel. Dans les Alpes-Maritimes, c’était le cas aussi du radical socialiste grassois Jean Ossola. Les trois autres députés maralpins appartenaient, eux, à la gauche modérée, Édouard Grinda, Léon Baréty et Humbert Ricolfi. Les élections débouchèrent sur la constitution d’un gouvernement qui dura… deux jours, du 8 au 10 juin 1924, et sur la démission du président de la République Alexandre Millerand le 11 juin !
Les élections débouchèrent sur la constitution d’un gouvernement qui dura... deux jours, du 8 au 10 juin 1924
Parti pris par les journaux régionaux
La France se déchirait donc entre les partisans d’une politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne, exigeant le remboursement de la dette de guerre, et ceux qui, considérés comme « traîtres » par les premiers, voulaient mettre fin à l’occupation de la Ruhr en Allemagne, se préoccupant davantage des réformes sociales françaises.
Les deux journaux les plus puissants de notre région, « L’Éclaireur de Nice » et « La République du Var » étaient du côté des premiers. Ils menèrent une campagne d’une incroyable dureté. Dans son édition du 8 mai, « L’Éclaireur de Nice » fait paraître un bandeau sur toute saune: « S’abstenir, c’est voter pour la guerre civile » avec, en encadré, en tête de page : « Les boches désirent ardemment le succès des blocs de gauche. »
« La République du Var » elle, publie dans son édition du 15 mai cet encart intitulé « Dédié aux bourgeois toulonnais qui ont voté pour les Rouges » : «Jevotepour le cartel des gauches parce que le cartel des gauches, qui ne vaut pas grand-chose, s’il prenait le pouvoir serait un gouvernement mou, faible, qui permettrait aux prolétaires de se réorganiser pour préparer en paix le grand chambardement général. »
Le 8 mai, « L’Éclaireur de Nice » publie un éditorial intitulé « Appel aux bonnes gens et aux bons Français » : « L’élection du 11 mai est entre les mains des honnêtes gens et des bons Français. Dans les Alpes-Maritimes comme dans toute la France, nous voyons se dresser contre les partisans de M. Poincaré (ex-président de la République, centre droit) tous les hommes qui, dans le passé, ont soutenu M. Caillaux (ex-président de la SFIO). Aujourd’hui, ces hommes-là pactisent avec le socialisme et préconisent l’abdication devant l’Allemagne… Le bloc des gauches conduit à la révolution. Les radicaux sont alliés avec les socialistes. Ils préparent le terrain pour la révolution communiste. »
« La France court un danger mortel »
Au lendemain du premier tour, le 12 mai 1924, « L’Éclaireur de Nice » est heureux des résultats : « Victoire du patriotisme. Trois de nos amis Baréty, Grinda et Ricolfi, sont élus, malgré une abominable campagne de diffamation, malgré les pires appels lancés aux masses ouvrières, malgré l’argent répandu à pleines mains, malgré l’appui des maisons de jeux donné à nos adversaires, malgré le cartel des fonctionnaires insurgés contre l’État et contre le pays, trois des candidats de l’Union démocratique, partisans de M. Poincaré, sont élus. »
Le journal de « La République du Var » commente moins les résultats locaux que nationaux. C’est dans son édition du 13 mai que figure ce titre étonnant barrant toute la première page : «Les traîtres Malvy et Marty élus, les glorieux Fonk et Castelnau battus» . Malvy et Marty sont deux candidats du Cartel des gauches élus dans le Lot et en Seine-etOise. Le premier est accusé d’avoir été un espion allemand, le second d’avoir participé aux mutineries de la mer noire, remplaçant le drapeau français par le drapeau communiste. Quant à Fonk et Castelnau, ce sont deux grandes figures de la Guerre de 1914, élus respectivement dans les Vosges et dans l’Aveyron. Le 25 mai, avant le second tour, « La République du Var » publie cette mise en garde sous le titre « La France court un danger mortel» : « La France a subi un coup de poignard, le 11 mai. La France de droite a été récompensée de sa modération par une formidable campagne d’injures et de calomnie. Nous risquons de goûter les fruits de la nouvelle politique : désordre financier, favoritisme, gabegie, débâcle du franc, vie de plus en plus chère, grèves et troubles intérieurs, et peut-être une nouvelle invasion de l’Allemagne… »