Monaco-Matin

Il y a 80 ans, les bombes s’abattaient sur la ville

Une exposition est organisée à Saint-Roch. L’occasion de revenir sur ces centaines de civils tués le 26 mai 1944 par le déluge de l’aviation américaine et d’interroger notre rapport à la mémoire.

- ALEXANDRE ORI aori@nicematin.fr

Le visage déchiré de douleur, une femme noyée par la foule émue, pleure sur un cercueil. Son cri muet imprègne le cliché pris au cimetière de Caucade, le surlendema­in des bombardeme­nts du 26 mai 1944.

Les 328 victimes des bombes américaine­s larguées ce jour-là sur les quartiers Pasteur, SaintRoch et République, doivent être enterrées dans une fosse commune. À Nice, au sein de l’espace départemen­tal Laure-Ecard, l’exposition Alpes-Maritimes, la liberté retrouvée ! revient sur ces évènements tragiques.

Instrument­aliser les morts

Mais que reste-t-il de ces bombardeme­nts dans la mémoire collective ? « La réponse varie que l’on soit sous occupation allemande, après la Libération ou bien aujourd’hui », observe Yves Kinoussian, directeur des archives départemen­tales, dont les services sont à l’origine du rendez-vous qui se tient jusqu’au 31 août. « Contrairem­ent à l’approche de l’historien qui tend à prendre du recul, la mémoire est avant tout une constructi­on humaine. Subjective par nature, elle peut-être influencée par la propagande, instrument­alisée pour servir un narratif» , prévient l’archiviste.

« Le régime de Vichy et les nazis veulent absolument décrédibil­iser les Alliés, détruire leur image de Libérateur­s en les décrivant comme des terroriste­s, à l’instar des Résistants. » Pour appuyer son propos, Yves Kinoussian pointe sur une photograph­ie lors d’obsèques, la haie d’honneur formée par de jeunes adolescent­s. Tous portent le brassard des Francs Gardes, chapotés par la milice. Dans ces instants solennels, les suppôts de Pétain fleurissen­t les tombes, accompagne­nt le cortège, consolent les familles. Tout est bon pour prouver qu’ils sont les véritables alliés de la population.

« Mais l’objectif n’a jamais été de tuer des civils », tempère Yves Kinoussian en dépeignant les causes du carnage : « En raison des fumées dégagées suite à un premier passage, la seconde volée de bombardier­s, n’a pas pu correcteme­nt viser les rails. L’objectif était de couper les communicat­ions vers l’Italie et de priver les occupants de toute retraite en vue du débarqueme­nt en Provence. »

Pour autant, la fin peut-elle justifier les moyens ? L’euphorie de la Libération ne fera pas revenir les innocents soufflés par les bombes, ne guérira pas les 499 blessés et ne compensera que plus tardivemen­t la disparitio­n des 438 immeubles détruits ou endommagés. Bien que les archives n’en conservent pas de traces, «ilest très certain qu’une profonde rancoeur, voir un sentiment de revanche à l’égard des alliés, ait habité le coeur des proches endeuillés », concède le directeur.

« Apaisement de la mémoire »

Conscients de la nécessité d’un

« apaisement de la mémoire », Jacques Cotta, maire de Nice, Virgile Barel, président du conseil général et le préfet Paul Escande, s’empressent, dès 1946, de convier les Américains aux commémorat­ions. Le mémorial du bombardeme­nt est ainsi inauguré en présence des officiers de la United States Riviera Recreation­al Area, la zone de repos des troupes étasunienn­es sur la Côte d’Azur. Les clichés immortalis­ent leurs visages recueillis, la gravité des gardeà-vous.

« La reconnaiss­ance de leurs erreurs et la demande de pardon» , traduit Yves Kinoussian. L’archiviste considère que notre rapport actuel à la Seconde Guerre mondiale s’inscrit dans la continuité de « cette volonté d’aller de l’avant, de reconstrui­re ensemble sans pour autant occulter l’horreur de la guerre ». Analyse qui s’est confirmée lors du vernissage de l’exposition vendredi. Dans les conversati­ons et discours, les bombardeme­nts s’imposaient sous les traits d’une « effroyable tragédie », d’une « page sombre de notre histoire », d’un « traumatism­e pour les Niçois ».

Tocsin résonnant quatre-vingts ans après, « afin que cela ne se reproduise plus jamais ».

 ?? (Photo A. O.) ?? Yves Kinoussian, directeur des archives départemen­tales, le vendredi 24 juillet, lors du vernissage de l’exposition consacrée aux bombardeme­nts de Saint-Roch, à l’espace Laure Ecard, à Nice.
(Photo A. O.) Yves Kinoussian, directeur des archives départemen­tales, le vendredi 24 juillet, lors du vernissage de l’exposition consacrée aux bombardeme­nts de Saint-Roch, à l’espace Laure Ecard, à Nice.

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